S’il est un mot populaire dans les cercles de développement personnel, c’est bien celui-là! Au départ, il s’agissait d’un terme désignant la représentation visuelle d’un phénomène sous forme d’illustration, de graphique ou d’animation. Son sens s’est ensuite étendu à la capacité de se représenter mentalement un objet ou un être ne se trouvant pas dans notre champ de vision, ou encore une suite d’opérations à effectuer. De là à inventer de toutes pièces des scénarios issus de notre imagination, il n’y avait qu’un pas, et ce pas a été franchi par plusieurs coachs de vie et psychoguides de toutes sortes, jusqu’à faire de la visualisation «le secret» de la réussite et de la réalisation de soi.
On conçoit sans mal que le fait de visualiser les mouvements d’une routine puisse aider un athlète à en mémoriser la séquence. Qu’un artiste se fasse une image de l’œuvre qu’il veut créer. Ou qu’un architecte se représente la structure qu’on lui demande de concevoir. Mais ce n’est pas de ce genre de visualisation dont on parle dans les cercles de psycho pop. On y enseigne plutôt qu’il suffit de créer une image mentale détaillée de ce que l’on souhaite obtenir ou de ce qu’on aimerait qu’il arrive pour produire le résultat voulu!
Pour que ça marche, il faut y croire fermement, nous dit-on. À tel point que lorsque le résultat attendu ne se matérialise pas, le visualisateur ou la visualisatrice se voit dire: «C’est parce que tu n’y crois pas assez fort.»
Il faut non seulement y croire, mais aussi «positiver». La pensée positive jouerait en effet un rôle déterminant dans le processus de visualisation en écartant les interférences à la réalisation de son souhait.
Et pour assurer le succès de l’entreprise, il importe également de répéter l’effort de visualisation de façon continue jusqu’à ce que l’image issue de notre imagination devienne réalité.
Comme par magie
Les chercheurs se perdent en conjectures sur la paternité ou la maternité effective de cette technique apparemment garante de succès dans toutes les sphères de la vie. Mais avant qu’elle ne se répande à la faveur d’un public en mal de recettes faciles, on appelait ça «rêver en couleur», et personne ne se faisait d’illusion sur l’issue de nos rêves éveillés.
Les promoteurs de la visualisation misent sur le pouvoir de la pensée pour convaincre les gens que rien n’est impossible et qu’ils peuvent obtenir tout ce qu’ils veulent grâce à cette méthode à la portée de tous. Nous avons en nous tout ce qu’il faut, disent-ils, et il nous suffit de canaliser nos pensées pour briser les barrières de l’inconscient et libérer notre imagination créatrice afin de lui permettre de combler tous nos vœux.
Les scientifiques en sont venus à qualifier cette disposition d’esprit de «pensée magique». Car, il s’agit bien de croire que, pour peu qu’on le veuille, tout peut arriver comme par magie. Le problème, c’est que bien que beaucoup de choses soient réellement magiques dans la vie, rien n’arrive jamais comme par magie. Rien n’arrive jamais simplement parce qu’on souhaite que cela arrive, peu importe l’intensité avec laquelle on y croit, peu importe toutes les pensées positives qu’on peut avoir, et peu importe le nombre de fois où l’on se répète que cela va arriver. L’univers obéit à des lois rigoureuses, et n’a que faire de nos caprices.
Le fait est que si la visualisation telle qu’on nous la présente fonctionnait vraiment, nous serions tous beaux, riches et célèbres.
Vivre ses rêves vs rêver sa vie
Comprenez-moi bien. Le pouvoir de la pensée est bien réel. Il conditionne aussi bien nos attitudes et nos comportements que notre état de santé. La projection de soi peut aussi favoriser l’atteinte de nos objectifs en nous aidant à définir les étapes à franchir pour parvenir à nos fins. Et tout le monde gagne indéniablement à briser les barrières de l’inconscient pour surmonter ses blocages et tirer parti de son plein potentiel.
Reste qu’il ne suffit pas de visualiser – même en y croyant mordicus, en positivant un max et en répétant inlassablement l’exercice – pour réaliser ses rêves. Pour arriver à quoi que ce soit, il faut transformer sa vision en action. Il faut prendre les moyens de ses ambitions. Il faut s’investir à part entière dans la poursuite du but visé. Il faut parfois même ajuster le tir en cours de route; sans oublier que malgré tous les efforts qu’on peut déployer, il est toujours possible que le résultat ne soit pas à la hauteur de nos attentes.
L’exemple le plus probant en est sans doute celui des athlètes de haut niveau. Ils fournissent des efforts à proprement parler surhumains, nettement au-delà de ceux que consentent la plupart des gens dans la poursuite de leurs objectifs. Ils visualisent plus que quiconque le chemin à parcourir, les étapes à franchir et le but à atteindre. Et ils mettent absolument tout en œuvre, à répétition, encore et encore, pour atteindre la plus haute marche du podium… mais un seul y accède. Et même en s’y reprenant à maintes et maintes reprises, la très grande majorité d’entre eux n’y parviennent jamais.
Une vision plus large de la réalité
C’est donc dire qu’il ne suffit pas de visualiser pour que tout s’accomplisse. Pas plus qu’il n’est vrai qu’on arrive à tout en y mettant les efforts nécessaires – un autre leitmotiv populaire. D’autres facteurs sont manifestement en jeu, et quiconque les ignore s’expose à de grandes déceptions.
Un de ces facteurs, auquel personne n’échappe, est le karma, soit l’héritage de notre passé. Héritage qui influe directement sur notre capacité à réussir dans un domaine donné. Nous récoltons ce que nous avons semé, et nous héritons des forces et des faiblesses que nous avons acquises. Pas besoin d’aller bien loin pour constater qu’une personne est foncièrement nulle en maths alors qu’elle excelle tout naturellement en français, ou qu’une autre est particulièrement douée pour le sport mais pourrie en dessin. Elles peuvent travailler à combler leurs lacunes, mais leur bagage de départ ne les favorise pas en ce sens.
Jouent également un rôle indiscutable le milieu familial, l’entourage professionnel, l’environnement naturel et culturel, le climat et les ressources dont nous disposons, pour ne nommer que ceux-là. Bref, nous ne sommes pas seuls et nous ne fonctionnons pas en vase clos. Tout est interrelié, et notre volonté seule ne suffit pas à contrer l’influence de tous les facteurs en cause dans l’atteinte de nos objectifs ou la réalisation de nos rêves.
La visualisation ultime – solidement ancrée dans la réalité – consiste donc plutôt à tout voir en lien avec tout et avec la source de tout; à composer avec les forces indépendantes de notre volonté; à prendre conscience de notre place et de notre rôle dans l’univers; à percer le voile de l’ignorance et de l’oubli de notre rapport au Divin. Alors seulement tomberont les barrières que dressent nos rêves illusoires sur la voie d’une vie réussie dans la pleine réalisation de soi et de l’Absolu.