Suite et fin de la série historique consacrée à la théorie de l’invasion aryenne, échafaudée dans le but de minimiser l’importance de la culture et des textes védiques.
Voir le volet précédent.
Bien que de nombreux experts dans un large éventail de disciplines aient fourni amplement de preuves à l’effet qu’il n’y a jamais eu d’invasion aryenne en Inde – ni ailleurs – et que la culture védique n’a jamais eu d’autre berceau que le sol sur lequel elle s’est développée et duquel elle a rayonné, l’indianiste Nicholas Kazanas est celui qui, au cours des dernières décennies, a le plus écrit dans les revues spécialisées pour amener les universitaires à reconsidérer la question.
C’est que, voyez-vous, l’infâme théorie de l’invasion aryenne continue d’alimenter biais, préjugés et contre-vérités au sujet de l’histoire de l’Inde en général et de la culture védique en particulier. Et ce, au sein même des cercles universitaires censés être les gardiens du savoir, de la science et des faits incontestables, d’où cette théorie sans fondement devrait avoir été évincée depuis longtemps déjà.
Après avoir, comme bien d’autres, prêté foi à la théorie de l’invasion aryenne sans trop se poser de questions, Kazanas a résolu, contrairement à bien d’autres, d’approfondir la question et d’examiner les données issues des recherches et des découvertes effectuées au cours des deux derniers siècles. Ce qui l’a tout naturellement amené à rejeter l’insoutenable théorie et à exposer les faits à ses pairs avec force arguments.
«Bien qu’elle perdure depuis 150 ans, la théorie de l’invasion aryenne ne repose sur rien d’autre que des idées préconçues. Certains ont tenté d’en atténuer la dureté en parlant de migration plutôt que d’invasion afin de la rendre plus acceptable, mais cette supercherie est tout aussi honteuse et incompréhensible aux yeux des archéologues et des anthropologues. D’autant plus que s’il y avait vraiment eu une aryanisation d’une telle ampleur dans le nord du sous-continent indien, elle n’aurait bel et bien pu se faire qu’à force de conquêtes et de coercition, dont on sait qu’il n’y a de toute façon aucune trace.
Indo-Aryan Origins and Other Vedic Issues, Delhi: Aditya Prakashan, 2009, p. 62-63.
«Qu’une théorie aussi grotesque et tordue ait pu acquérir le statut de fait historique demeure impensable. […] Elle n’a pu être perpétuée que par bête répétition mécanique, sans plus de réflexion. Combien de temps encore faudra-t-il répéter qu’aucune donnée historique ne soutient cette théorie sous une forme ou une autre? Tout indique au contraire que le peuple védique est indigène de la région des sept fleuves et rivières du nord de l’Inde. Des auteurs étrangers écrivaient d’ailleurs déjà au 4e siècle av. J.‑C. que la population de cette région s’y trouvait depuis au moins le quatrième millénaire avant notre ère. Ce que confirment toutes les découvertes archéologiques, anthropologiques et archéoastronomiques.».
Un peu de sérieux, s’il vous plaît
Comprenons bien que seuls des intérêts politiques et personnels ont permis de garder cette théorie en vie. Que ce soit au 18e, au 19e ou au 20e siècle, l’Europe toute-puissante ne pouvait souffrir que sa grandeur soit diminuée par une civilisation évoluée plus ancienne que la sienne, de surcroît encore vivante! L’antériorité de civilisations disparues – égyptienne, sumérienne ou autre –, confinées aux annales de la préhistoire, n’avait rien de menaçant. Mais celle d’une civilisation et d’une culture pérennes plus anciennes encore que les précédentes était pour le moins indigeste.
L’ancestrale culture védique et ses ramifications omniprésentes dans la culture indienne des temps modernes n’avaient rien de menaçant d’un point de vue politique ou militaire, mais elle dérangeait considérablement sur le plan idéologique. Confronté à un peuple paisible et homogène aux traditions millénaires et aux racines profondément philosophiques et spirituelles, l’Occident assoiffé de conquêtes et persuadé de la supériorité de ses sciences et de sa religion a tout fait pour dénigrer les valeurs et le passé de ce peuple.
La théorie de l’invasion aryenne était l’outil rêvé pour ce faire. Et elle n’a cessé de gagner en force avec le temps, au point qu’une majorité d’Indiens ont fini par la croire vraie et par vouloir s’occidentaliser, séduits par la supériorité apparente des progrès scientifiques et technologiques de l’Occident. Malgré les critiques ponctuelles de savants dans diverses disciplines, l’infâme théorie n’a d’ailleurs eu aucun mal à subsister au moins jusqu’au milieu du 20e siècle, puisque l’Inde n’est parvenue à s’affranchir du joug de l’empire britannique qu’en 1947.
Depuis, de plus en plus de voix, indiennes et étrangères, se sont élevées contre les perfides manigances colonialistes, tout en insistant pour redonner leurs lettres de noblesse à la culture et à la littérature védiques, dont les vastes et riches enseignements peuvent bénéficier à l’humanité tout entière. Sans compter qu’ils renferment l’histoire d’une partie de l’humanité en des temps plus anciens que tous ceux pour lesquels nous disposons de données à l’heure actuelle.
Mais il y a du chemin à faire, car la théorie maudite tient encore bon dans les livres, dans les salles de cours et dans l’inconscient collectif. On ne peut donc qu’abonder dans le sens de Nicholas Kazanas lorsqu’il écrit:
«Espérons que l’infâme théorie de l’invasion aryenne et tout ce qui a pu en découler se retrouvent plus tôt que tard au seul endroit qui leur convient – dans la poubelle de l’histoire.»
Indo-Aryan Origins and Other Vedic Issues, Delhi: Aditya Prakashan, 2009, p. 302.