Suite de la série historique consacrée à la théorie de l’invasion aryenne, échafaudée dans le but de minimiser l’importance de la culture et des textes védiques.
Voir le volet précédent.
Des fouilles continues dans la vallée de l’Indus ont permis de mettre au jour une centaine de sites harappéens. Et la plupart de ces sites révèlent une habitation ininterrompue de longue date. Une éventuelle invasion par des étrangers originaires de contrées lointaines suppose la présence de vestiges du peuple en question, mais il n’en existe aucune trace dans la région!
Une étude approfondie des restes humains excavés autour de l’Indus par l’équipe du bioarchéologue Brian E. Hemphill a d’ailleurs révélé qu’aucun nouveau peuple n’était arrivé dans la région entre 4500 et 800 av. J.‑C. Rien ne suggérait donc une quelconque invasion massive, aryenne de surcroît, autour de 1500 avant notre ère.
Qu’en est-il des chevaux?
Certains promoteurs de la théorie de l’invasion ont avancé qu’aucun os de cheval n’avait été trouvé à Harappa, ce qui, selon eux, prouvait bien que le cheval n’était pas indigène à la région et qu’il avait été introduit par les Aryens. Mais si, aux premiers stades des fouilles, les sites harappéens ne semblaient encore renfermer aucuns restes équins, les travaux continus dans la région ont révélé la présence de chevaux non seulement aux emplacements de la vallée de l’Indus, mais aussi sur des sites d’excavation antérieurs à ceux du fleuve.
De fait, les recherches archéologiques ont clairement démontré que le cheval domestique avait été en usage tout au long de l’histoire de l’Inde. Et pas seulement le cheval, mais aussi la roue à rayons utilisée sur divers types de véhicules. Le cheval est en outre représenté sur les nombreux sceaux de stéatite finement gravés trouvés sur les sites de fouilles, où l’on a également relevé nombre d’occurrences du mot ashva, qui veut dire «cheval» en sanskrit et qu’on retrouve 215 fois dans le Rig-véda seulement, le plus ancien des textes védiques.
Fait intéressant, l’archéologue B. B. Lal précise dans Homeland of the Aryans: Evidence of Rig Vedic Flora and Fauna and Archaeology:
«Une étude anatomique du cheval révèle la présence, dans les temps anciens, de deux types de chevaux qui existent encore de nos jours : le type indien, qui possède dix-sept côtes de chaque côté, et le cheval d’Asie occidentale et centrale, qui en compte dix-huit. Or, le cheval décrit dans le Rig-véda et le Yajur-véda est du premier type. Il n’est donc pas venu d’Asie centrale [comme le prétend la théorie de l’invasion aryenne].»
Les pierres aussi ont leur mot à dire
Les fouilles effectuées dans le bassin de l’Indus, plus précisément à Mohenjo-daro, révèlent que les installations sanitaires, les égouts et le bain public ont fait l’objet d’un grand soin, et qu’ils présentent des éléments de continuité évidents avec les développements ultérieurs de la civilisation indienne. Les aménagements urbains de ces «cités perdues» se révèlent eux-mêmes d’une grande précision et témoignent d’un génie civil qui n’aura d’égal que 2000 ans plus tard, avec l’arrivée de la civilisation romaine.
Dans «Birth of a Civilization», un article paru en 1998 dans la revue Archaeology, l’archéologue Jonathan Mark Kenoyer écrivait:
«Chaque établissement [harappéen] présentait un quadrillage de rues orientées nord-sud et est-ouest avec des voies secondaires reliant les différents quartiers aux axes principaux. […] Beaucoup de maisons avaient deux étages et possédaient une cour ouverte, des chambres, des espaces communs, des latrines et des plateformes de bain au sol étanche équipées de drains. La majorité des habitations étaient reliées à un système d’égouts complexe reflétant une administration municipale des plus compétentes.»
À Dholavira, un des sites les plus spectaculaires de la région, on a même découvert les vestiges d’un immense barrage vieux de 5000 ans! Les fouilles archéologiques réalisées jusqu’ici indiquent que la culture de la vallée de l’Indus couvrait un vaste territoire. On y a identifié plus de 1500 villes et villages entre les montagnes du nord de l’Afghanistan et la mer d’Arabie au sud, et entre l’actuelle Mumbai à l’ouest et Delhi plus à l’est, sur une superficie de plus de 650 000 kilomètres carrés. Ce qui représente plus du double de la surface occupée par les cultures égyptienne et sumérienne.
Un héritage indiscutable
Ce qui étonne encore plus, c’est l’uniformité d’une culture aussi étendue, où les arts, l’écriture, la technologie et les poids et mesures sont homogènes. Et le fait que les mêmes méthodes de fabrication des poteries et des bijoux, par exemple, soient encore en usage dans les centres urbains d’Asie méridionale. Que les orfèvres utilisent encore le même système de poids. Que certains instruments agricoles et certaines techniques de chasse ou de pêche demeurent inchangés.
Les artefacts découverts dans les ruines harappéennes montrent par ailleurs que les habitants de ces centres urbains utilisaient des embarcations et des chars à bœufs dotés d’une armature surmontée d’une sorte de baldaquin semblables à ceux qu’on trouve encore en Inde de nos jours. Des chercheurs aguerris ont aussi noté l’absence d’épingles et un goût marqué pour les bracelets et les délicats ornements de nez si caractéristiques de l’Inde.
Autant de vestiges d’une civilisation encore bien vivante malgré ses milliers d’années d’existence. Les plus récentes recherches effectuées par une équipe d’archéologues français sous la direction de Jean-François Jarrige du musée Guimet, à Paris, ont même permis de repousser les origines de cette culture à 7000-6500 av. J.‑C., grâce aux fouilles réalisées à Mergarh, à 200 kilomètres à l’ouest de l’Indus. Ce qui en fait le plus ancien vestige de culture et d’économie de la civilisation indienne à ce jour.
S’il est une évidence à en tirer, c’est qu’il n’était besoin d’aucun apport sumérien, égyptien, caucasien ou européen pour qu’une civilisation à part entière se développe en Inde, puisqu’elle les précède toutes.
À suivre…