La notion de service joue un rôle central en spiritualité. Elle est toutefois souvent mal comprise. Or, il importe d’en acquérir une juste compréhension pour savoir en tirer parti.

Servir… Mot mal aimé dans un monde où l’on a plutôt tendance à rêver d’être servi. Nous attendons en effet beaucoup de la vie, et nous sommes souvent déçus lorsqu’elle ne répond pas à nos attentes. Mais au risque de vous surprendre, la vie n’est pas à notre service! Si nous comptons sur le Ciel, l’Univers, les anges ou Dieu pour combler nos désirs, nous faisons carrément fausse route.

Premièrement, nous ne récoltons que ce que nous avons semé, et la vie ne nous attribue que la part qui nous revient. L’oublier, c’est s’exposer à bien des désillusions.

Deuxièmement, la fonction immuable des âmes que nous sommes est non pas de se comporter comme si tout nous était dû, mais de servir. Les Védas expliquent en effet que tout comme l’eau a pour fonction d’abreuver et de rafraîchir, et le feu, celle de prodiguer chaleur et lumière, il est de notre constitution même de servir.

On ne voit pas toujours les choses sous cet angle, mais le fait est que nous sommes constamment en train de servir quelqu’un ou quelque chose, que ce soit nos désirs ou nos ambitions, nos enfants ou notre conjoint, nos clients, notre employeur ou notre pays, sinon une cause quelconque. Il s’agit d’une incontournable constante de notre existence. Car c’est la nature même de l’âme — son dharma éternel — que de servir. Or, cette notion devient d’autant plus pertinente lorsqu’on comprend que ce qui distingue la matérialité de la spiritualité, c’est en fait l’objet de notre service.

C’est notre intérêt qui compte

Il est tout à fait naturel que nous cherchions à satisfaire nos besoins physiques, émotifs et intellectuels. Nous nous mettons d’ailleurs spontanément au service des impératifs que nous dictent nos sens, notre mental et notre intelligence. Personne ne doit nous pousser à le faire. Et il est tout aussi naturel de se mettre au service de sa famille, de ses proches, de sa communauté, de son pays ou d’une noble cause.

Aucun de ces objets de service n’a cependant de valeur spirituelle en soi. Pour s’accomplir pleinement – sur le plan aussi bien spirituel que matériel –, il faut aussi servir le plus intime de nos intérêts. La forme humaine nous offre en effet l’occasion unique de reprendre conscience de notre nature spirituelle oubliée, et d’apprendre à connaître et à servir l’Absolu au-delà de nos préoccupations matérielles. Pour qui aspire à tirer le maximum de son séjour sur terre, rien n’est plus précieux que ce don de la vie.

Sur le plan strictement humain, tous les objets de service sont éphémères et ne procurent qu’une satisfaction mitigée. C’est pourquoi nous avons tout intérêt à renouer avec l’essence même de notre existence.

Nous cherchons le bonheur partout autour de nous, alors que le vrai bonheur, profond et durable, se trouve dans le soi. C’est donc au tout premier chef dans la quête du soi et de son lien avec la source de tout ce qui existe que nous devrions investir nos énergies. Idéalement avec autant d’ardeur qu’un soldat inconditionnellement voué au service de sa patrie et prêt à donner sa vie pour elle.

Conscience à la rescousse

Comprenons bien que pour approfondir la quête du soi et se mettre au service de l’Absolu, il ne faut renoncer ni à ses devoirs ni aux plaisirs de la vie. Le secret réside dans le développement d’un état de conscience permettant d’intégrer la dimension spirituelle à tout ce que nous faisons.

Tout l’art de la spiritualité vivante consiste en effet à imprégner les divers aspects de notre existence d’une conscience éclairée. Notamment en gardant à l’esprit que nous sommes infiniment petits et que l’Absolu est infiniment grand. Que nous lui sommes subordonnés et redevables, et qu’il est dans l’ordre des choses de chercher à vivre en harmonie avec lui.

Selon leur rapport à l’Absolu, certains le servent en s’appliquant à mieux comprendre sa nature. D’autres le servent en restant à l’écoute de la voix intérieure qui guide leurs pas. D’autres entretiennent avec lui une relation personnelle et le vénèrent à travers l’exercice d’un culte ou en lui faisant offrande de leurs pensées, de leurs paroles et de leurs actes. Il y a mille et une façons d’attiser la flamme de cette conscience divine qui donne tout son sens à notre fonction inhérente de servir.

L’important, en fin de compte, c’est de nous habituer à tout voir en lien avec l’Absolu, le Suprême ou le Divin, et de nous mettre à son service pour le plus grand bien de tous ceux qui nous entourent, pour la saine intendance du monde dans lequel nous vivons, pour que nos sociétés évoluent en harmonie avec les lois de l’univers, et bien entendu pour notre plus grand bonheur personnel.

En toute simplicité

Pour s’établir dans le soi et en venir à tout voir en lien avec l’Absolu, il faut y mettre le temps et l’énergie. D’abord un peu chaque jour, puis de plus en plus, jusqu’à ce que ça devienne aussi naturel que de vaquer à ses autres occupations. Nous devons en effet apprendre à servir notre intérêt ultime en prenant les moyens nécessaires pour raviver la conscience que nous sommes une âme distincte du corps que nous habitons. Et pour mieux connaître cet Absolu à la fois en tout et hors de tout.

Servir dans cet esprit, c’est arroser la racine de l’arbre, dont le feuillage s’épanouit alors tout naturellement. Pour ce faire, il faut se préoccuper de nourrir l’âme avant le corps. Le reste suivra.

Il va sans dire que l’Absolu – qu’on le perçoive dans son aspect diffus à travers l’univers, dans son aspect localisé dans le cœur de chaque être ou dans sa forme personnelle – n’a aucunement besoin d’être servi. Notre fonction de service naturelle vise donc notre propre bien en tant que partie infime d’un grand tout. Elle ne relève ni de l’asservissement ni d’une quelconque forme d’obligation. Elle repose entièrement sur le libre arbitre du choix de l’objet de notre service.

En guise d’inspiration, je vous laisse sur ces paroles de Krishna à son ami Arjuna dans la Bhagavad-gita:

Que l’on m’offre avec amour une feuille, une fleur, un fruit ou de l’eau, cette offrande, je l’accepterai. Quoi que tu fasses, que tu manges, sacrifies ou prodigues, que ce soit pour me l’offrir, ô fils de Kunti. Tu t’affranchiras ainsi de l’enchaînement aux actes et à leurs suites, tantôt désirables tantôt indésirables. Dans cet état de conscience, le mental ainsi fixé sur moi, tu seras libéré et viendras à moi.

Bhagavad-gita, 9.26-28
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