Pourquoi faut-il que le ciel me tombe sur la tête? Comment ai-je bien pu mériter ce qui m’arrive? Encore un mauvais coup du sort! Les expressions ne manquent pas pour exprimer notre incrédulité et notre frustration devant les malheurs, petits et grands, qui nous accablent. Parfois en un éclair, comme dans le cas d’un accident, parfois durablement, comme dans celui d’une maladie. Mais sommes-nous vraiment les impuissantes victimes d’un Dieu vengeur ou de quelque autre force maléfique?
Lorsqu’on ne comprend pas ce qui nous arrive, on a souvent du mal à l’accepter. Et facilement tendance à rejeter la faute sur un agent extérieur. Pour apaiser notre désarroi ou notre colère face à une situation qui nous déstabilise, il est tentant de jouer les victimes et de maudire l’invisible responsable de l’agression qui vient assombrir nos jours.
Au jour le jour, lorsqu’il s’agit de situations moins dramatiques ou de simples contretemps, il arrive même que nous donnions rapidement un visage à l’invisible. C’est la faute du gouvernement, d’un employeur incompréhensif, d’un propriétaire malveillant, d’un voisin emmerdant, ou tout simplement de la météo! Vive les boucs émissaires! Ça défoule… et ça déculpabilise.
Victime de soi, peut-être?
Une victime est volontiers perçue comme innocente. On aime croire qu’elle n’est pas responsable de ce qui lui arrive. Et même si elle peut avoir eu un quelconque rôle à jouer dans son malheur, elle ne mérite sûrement pas ce qui lui arrive. On ne peut s’empêcher d’avoir l’impression d’un châtiment injuste, d’une punition démesurée, d’une inexplicable malédiction.
Sans minimiser en rien la gravité d’impardonnables agressions et abus de toutes sortes, n’y aurait-il pas lieu, dans bien des cas, d’admettre en toute lucidité que les victimes que nous croyons être sont en fait jusqu’à un certain point… consentantes? Dans quelle mesure une personne qui persiste à rester dans une relation malsaine est-elle une victime? Jusqu’où peut-on dire d’un employé indûment exploité par son employeur qu’il est une victime?
Toutes sortes de considérations émotives, économiques ou autres contribuent bien sûr au statu quo, et rendent naturellement certaines décisions plus difficiles à prendre que d’autres. Mais en fin de compte, que ce soit pour les bonnes ou les mauvaises raisons, c’est toujours nous qui prenons la décision de rester ou de partir, de maintenir le cap ou d’en changer, de continuer à écoper ou d’en sortir.
On a toujours le choix
Ce qui me frappe le plus dans tous les cas de victimite bénigne ou aiguë, c’est la facilité et la rapidité avec lesquelles on cherche à imputer le blâme à un quelconque empêcheur de tourner en rond. C’est le réflexe malsain à se déresponsabiliser d’à peu près tout ce qui peut nous arriver de désagréable.
Il est évident que je ne peux pas changer la météo, mais je peux sans doute changer de partenaire ou d’employeur au lieu de m’en plaindre constamment tout en continuant à supporter ses inconduites. J’ai même le pouvoir de participer au choix de mon gouvernement, comme celui de réduire la pollution et la consommation à ma modeste échelle.
Et lorsque je n’ai vraiment aucun pouvoir sur les maux qui m’affligent, j’ai toujours le choix de la façon dont je les reçois. Vais-je passer mon temps à m’en plaindre et me rendre encore plus malheureux que je ne le suis déjà? Où vais-je plutôt y voir un rappel que rien n’est jamais parfait en ce monde, et une occasion de devenir plus zen face à la réalité? Plus conscient de mon assujettissement aux lois de la nature? Plus résolu que jamais à prendre les moyens de m’affranchir une fois pour toutes de cette emprise en vivant pleinement ma spiritualité?
Contre mauvaise fortune, bon cœur
Car, rien n’arrive par hasard. Même les pires calamités – naturelles, personnelles ou de masse – résultent d’un enchaînement de réactions dans le temps. Telles sont les lois de la nature. Ne cherchons pas d’ange malin au-delà de ces lois parfaitement connues et prévisibles.
Cela ne fait pas nécessairement plaisir à entendre, mais nous ne faisons que récolter ce que nous avons semé. Un point, c’est tout. Il n’y a pas d’exception à la règle. Nous ne nous souvenons plus de ce que nous avons semé? Qu’à cela ne tienne, car nous l’avons bel et bien semé quelque part dans le temps et dans l’espace, ici ou ailleurs, il y a un instant, un mois, un an… ou dans une vie antérieure.
Dans la foulée des complaintes, on entend souvent dire aussi que la vie est mal faite. Mais la vie est au contraire très bien faite. Elle respecte fidèlement et scrupuleusement toutes les règles du jeu. Jamais elle ne nous fait faux bond. Si nous l’accusons de nos maux, c’est que nous sommes centrés sur nous-mêmes. C’est que nous refusons de voir que tout s’inscrit dans un ordre infiniment plus grand que nous, et que nous sommes parties prenantes à toutes les interactions qui s’y déroulent. C’est que nous ne profitons pas des avantages que cette même vie nous accorde pour façonner activement notre destin plutôt que de continuer à jouer les victimes lorsque tout ne va pas comme nous le souhaiterions.
La solution à toutes nos infortunes ne consiste pas à pester sans fin contre l’inéluctable. Elle consiste plutôt à prendre connaissance des forces en présence et de notre conditionnement aux lois immuables de l’énergie matérielle de même qu’à l’enveloppe éphémère dans laquelle nous persistons à chercher une paix et un bonheur durables. Et à prendre les moyens de spiritualiser notre existence de manière à mettre fin au cycle des morts et des renaissances avec son cortège incessant de déconvenues plus contraignantes les unes que les autres.
En commençant à accepter – fût-ce théoriquement – que nous sommes des êtres spirituels séjournant temporairement dans un corps matériel, nous pouvons apprendre à nous sentir moins victimisés, et plus responsables de la toile du destin que nous tissons pour nous-mêmes.
«Réfléchis mûrement à tout cela, puis agis comme il te plaira.»
Bhagavad-gita 18.63