Suite de la série historique consacrée à la théorie de l’invasion aryenne, échafaudée dans le but de minimiser l’importance de la culture et des textes védiques.

Voir le volet précédent.

Un argument de taille contre l’infâme théorie à l’étude tient à ce que ni les quatre Védas originels, ni le Mahabharata, ni les Upanishads, ni les Puranas ne font état d’une quelconque invasion du sous-continent indien de quelque provenance que ce soit et à quelque époque que ce soit. La théorie mise de l’avant par les Max Müller de ce monde ne dit-elle pas que ce sont les Aryens du Caucase qui ont importé le sanskrit en Inde et qui ont composé les textes védiques après l’avoir envahie?

Peut-on un seul instant imaginer un fier envahisseur composer non pas un ou deux, mais des centaines d’ouvrages sans mentionner les exploits entourant sa glorieuse conquête? Sans référence aucune à sa terre d’origine et à sa périlleuse marche vers des terres inconnues? Sans parler de la ou des langues en usage au sein des peuples conquis avant qu’il leur impose le sanskrit? Sans la moindre allusion à la culture que la culture védique est censée avoir remplacée? Plus d’un historien s’est dit d’avis qu’une telle modestie était proprement impensable.

Shri Aurobindo (1872-1950)
Vivekananda (1863-1902)

Aux voix des chercheurs modernes s’ajoutent d’ailleurs celles de divers représentants de la culture védique. On pense notamment au philosophe Aurobindo Ghose, mieux connu sous le nom de Shri Aurobindo, selon qui la richesse du symbolisme spirituel des Védas et la complexité du sanskrit védique sont tout à fait incompatibles avec le niveau de culture de prétendus nomades barbares.

Avant lui, Vivekananda, le premier porte-parole de l’Inde védique en Occident, avait on ne peut plus clairement mis les choses en perspective:

«Les prétentions de vos pontifes européens selon lesquelles des Aryens venus de contrées lointaines auraient fait main basse sur les terres d’aborigènes indiens avant d’exterminer ces derniers pour s’établir dans la région n’ont aucun sens. Dans quelle partie des Védas est-il écrit que les Aryens ont envahi l’Inde et massacré les sauvages habitants de ce territoire? […] Les colonisateurs européens ont l’habitude d’anéantir des populations pour prendre possession de leurs terres. Il leur semble donc naturel que leurs ancêtres « aryens » aient fait de même. Mais où sont leurs preuves? Tout cela n’est que fiction. J’ai déjà dénoncé ces aberrations devant les savants d’Europe et de l’Inde, et je continuerai à le faire. Plongez dans les textes, étudiez les faits, et tirez-en vos propres conclusions.»

«Progress of Civilisation», dans The East and the West, vol. 5, p.534-535, The Complete Works of Swami Vivekananda, Wikisource.



Les textes trahissent leurs prétendus auteurs

Comme l’indiquait dès le début du 20e siècle l’indianiste et sanskritiste de renom Arthur B. Keith:

«De toute évidence, le Rig-véda ne renferme aucune information sur la façon dont des Aryens auraient introduit la culture védique en Inde. […] L’essentiel de ce Véda originel semble plutôt avoir été composé dans le pays même, autour du fleuve Sarasvati

«The Age of the Rig-veda», Cambridge History of India, vol. 1, 1922, pp. 77-113.

Aux yeux de quiconque se donne la peine de les lire, il est évident que les textes védiques eux-mêmes infirment toute notion d’invasion aryenne. Parlant du Sarasvati, justement, nous savons désormais qu’il avait commencé à se tarir dès 3000 av. J.‑C. et qu’il était complètement disparu vers 2000 avant notre ère. Comment donc des envahisseurs censés être arrivés autour de 1500 av. J.‑C. auraient-ils pu décrire en long et en large les gloires d’un fleuve disparu depuis cinq siècles?

Friedrich Max Müller (1823-1900) Portrait photographique
de Müller par Bassano (1883)

Qui plus est, étant donné que le Rig-véda, le Mahabharata et les Puranas font référence au Sarasvati à diverses époques où il coulait encore vigoureusement de l’Himalaya jusqu’à l’océan, on échappe difficilement au fait que les textes védiques ont dû être écrits avant qu’il se tarisse. Ce qui nous amène au moins à 3000 av. J.‑C., soit plus de 1800 ans avant la date à laquelle on attribue encore trop souvent l’écriture du tout premier texte védique.

Ce n’est d’ailleurs là qu’un exemple parmi des centaines d’autres de lieux, de personnages et d’événements mentionnés dans les textes védiques que les fameux Aryens auxquels on a tenté d’en attribuer la genèse n’avaient aucune possibilité de connaître. Mais comme nous l’avons vu précédemment, l’instigateur de la théorie de l’invasion aryenne, Max Müller, avait précisément été payé par le gouvernement britannique chrétien pour produire une traduction et une interprétation biaisées des écrits védiques afin d’en minimiser l’importance aux yeux des Indiens. Ce qui n’était d’ailleurs pas pour lui déplaire, puisqu’il a écrit à sa femme:

«Ma traduction des Védas influera grandement sur le sort de l’Inde et l’élévation de millions d’âmes dans ce pays. Il s’agit des racines même de leur foi, et je suis persuadé que la seule façon d’éradiquer tout ce qui a pu pousser de ces racines depuis 3000 ans consiste à leur montrer ces racines comme je le fais.»

The Life and Letters of Right Honorable Friedrich Max Müller, Londres: Longman, 1902.

À suivre…

Que de modestie!