Qui n’est pas fasciné par la magie? Nous avons beau savoir que les prestidigitateurs ne sont après tout que d’habiles illusionnistes, leurs exploits sont si crédibles que la frontière entre le réel et l’imaginaire semble momentanément s’estomper. Mais il est une magie plus grande encore, qui sans que nous soupçonnions le moindre tour de passe-passe, nous plonge dans une illusion telle qu’elle nous paraît être la seule vraie réalité.
Les Védas enseignent que trois grandes catégories d’énergies sont à l’œuvre dans l’univers: l’énergie spirituelle, l’énergie matérielle et l’énergie marginale. Et que toutes trois, présentes et actives sous de multiples formes, relèvent d’une source commune qui en est le maître absolu.
L’énergie spirituelle est l’énergie primordiale au fondement de la vie. Elle est éternelle et empreinte de connaissance et de félicité. L’énergie matérielle réunit l’ensemble des éléments qui composent le monde dans lequel nous nous trouvons, et elle sous-tend les lois immuables qui en régissent le fonctionnement. L’énergie marginale, quant à elle, est constituée des êtres vivants qui peuplent les mondes matériel et spirituel, et qui sont autant d’émanations infinitésimales de l’Être suprême.
L’énergie marginale est ainsi nommée du fait que les êtres vivants sont dotés de libre arbitre et qu’ils peuvent choisir d’évoluer dans la sphère matérielle ou dans la sphère spirituelle. On compare cette énergie à la ligne de démarcation entre l’océan et la terre ferme. Personne ne peut rester sur cette ligne, puisqu’elle est constamment en mouvement. Ainsi les âmes que nous sommes doivent-elles vivre soit en harmonie avec leur nature spirituelle, soit dans le cadre des conditions qu’offre la nature matérielle. Jamais elles ne peuvent rester entre les deux.
L’âme, par nature éternelle, imprégnée de savoir et vouée à un bonheur sans limites, n’est pas faite pour vivre dans le monde de la matière, où tout est éphémère et imparfait. Lorsqu’elle éprouve le désir d’exercer son indépendance en jouissant de la vie indépendamment de sa source, elle se voit cependant plongée dans un environnement qui lui permet de le faire.
Et c’est là qu’opère la plus puissante des magies!
Parfaite illusion
L’énergie matérielle possède un pouvoir d’illusion incomparable. Sous son charme, nous oublions tout de notre nature véritable. Nous nous identifions complètement au corps dans lequel nous nous trouvons et à travers lequel nous cherchons à jouir du monde qui nous entoure. Nous devenons tel un acteur si ancré dans la peau de son personnage qu’il en perd conscience de sa vie hors scène.
L’énergie matérielle, en vertu de laquelle la manifestation cosmique prend forme, est dite illusoire parce que, envoûtés par elle, nous la croyons être l’ultime réalité, au-delà de laquelle rien n’existe. Illusoire parce qu’elle nous rend aveugle à la réalité absolue sous le jeu des réalités relatives qu’elle nous fait sans cesse miroiter. Illusoire parce que la fascination qu’elle exerce sur nous nous fait prendre les êtres et les choses pour ce qu’ils ne sont pas, à l’instar d’un marcheur apercevant sur son chemin une corde enroulée qu’il prend pour un serpent. Illusoire, enfin, parce qu’elle n’a pas de réalité permanente; tout y est en constante transformation entre création et destruction, ou entre naissance et mort, dans un cycle sans fin.
La connaissance de cette énergie illusoire constitue un élément clé du savoir, car elle peut nous éviter de tomber dans ses pièges et de succomber à sa puissante magie.
Pour reprendre l’exemple de la corde et du serpent, tous deux existent, mais confondre l’un pour l’autre relève de l’illusion. Cette forme d’illusion consiste à percevoir une réalité comme étant autre chose que ce qu’elle est vraiment.
Dans le même ordre d’idées, le monde matériel existe bel et bien; il n’est pas une illusion en soi. Il est toutefois un produit de l’énergie matérielle, dont le pouvoir d’illusion nous porte à croire qu’il est tout ce qui existe. Or, le fait est que toutes les formes de vie qu’on y trouve appartiennent non pas à l’énergie matérielle, mais à l’énergie spirituelle, et que ni l’énergie matérielle ni l’énergie spirituelle ne sont indépendantes, puisque toute énergie dépend d’une source énergétique.
La magie à son comble
La source énergétique dont il est question n’est autre que le divin créateur à l’origine de tout, à l’image du soleil dont dépendent les énergies qu’il diffuse sous forme de chaleur et de lumière. L’Être suprême est seul maître des énergies qu’il déploie, au même titre qu’un chef d’État chapeaute toutes les instances de son gouvernement. Ministères et agences ont tous un rôle précis à remplir, et bien qu’ils puissent sembler agir de façon autonome dans leur sphère de compétence respective, ils sont tous sous le contrôle ultime de la tête dirigeante. De même, les énergies matérielle et spirituelle n’existent et n’opèrent que par la volonté de leur maître absolu. Leur magie est subordonnée à celle du magicien suprême.
Or, puisque toute énergie dépend d’une source énergétique, une autre facette de l’illusion consiste à croire que tout n’est dû qu’au hasard. Autrement dit, qu’aucune force consciente ne contrôle les énergies dont la magie s’exerce sous nos yeux, et ce, en dépit de tous les indicateurs à l’effet du contraire.
Insidieuse, la magie de l’énergie illusoire? Elle va jusqu’à nous donner l’impression que nous sommes seuls maîtres de nos actes et de leurs résultats, alors que rien n’est moins vrai. Sans doute faisons-nous des efforts pour parvenir à nos fins, mais ces efforts sont largement déterminés par notre conditionnement; à preuve, tout le monde ne déploie pas les mêmes efforts. Par ailleurs, quelle que soit l’ampleur des efforts mis en œuvre, jamais les résultats escomptés ne sont garantis, car ils dépendent d’un grand nombre de facteurs sur lesquels nous n’avons aucun contrôle.
Comme l’explique la Bhagavad-gita:
«L’être égaré par son identification au corps croit être l’auteur d’actions qui, en réalité, dépendent des influences maîtresses de l’énergie matérielle.»
Bhagavad-gita 3.27
Comment rompre le charme?
Tout compte fait, pour peu qu’on se penche sur la question, on comprend que le pouvoir d’illusion de l’énergie matérielle est tel qu’il nous rend complètement aveugles à des vérités pourtant flagrantes. On peut bien sûr se complaire dans l’ignorance des mécanismes à l’œuvre derrière le fascinant spectacle de la vie, mais toute personne saine d’esprit cherchera plutôt à échapper au leurre dont elle est victime et à dissiper les artifices qui lui cachent la réalité toute nue.
«Une personne d’intelligence ne se complaît point dans l’incessante quête des plaisirs de ce monde, car ils ont un début et une fin, et sont en fait sources de souffrance.»
Bhagavad-gita 5.22
Il est certes malaisé de s’arracher à l’envoûtement des forces de la nature, mais la tâche n’est pas pour autant impossible. Le Bienheureux nous en donne d’ailleurs la clé:
«Cette énergie dont le pouvoir d’illusion s’exerce à travers les influences maîtresses de la nature matérielle est fort difficile à surmonter. Mais ceux qui s’abandonnent à Moi en triomphent aisément.»
Bhagavad-gita 7.14
Le Seigneur des seigneurs est en effet la source et le maître de cette formidable énergie, de sorte que pour se soustraire à son emprise, il suffit de s’abandonner à lui plutôt qu’à elle.
Pour ce faire, il s’agit dans un premier temps de prendre conscience des illusions qui nous hantent en cultivant le savoir spirituel parallèlement au savoir matériel. Ce faisant, nous raviverons le souvenir de notre identité spirituelle et de la relation qui nous unit à l’Infiniment Fascinant. Dans un second temps, il ne nous restera plus qu’à apprendre à agir dans la conscience divine plutôt que de chercher à répondre aux moindres sollicitations de nos sens et de notre mental.
Il va sans dire que les détails d’une telle démarche débordent du cadre de ce billet, qui vise essentiellement à mettre en lumière les effets pernicieux de la magie spectaculaire dont l’énergie matérielle ne cesse de nous éblouir. Mais vous trouverez toute l’information nécessaire à un tel cheminement dans la vaste littérature védique de même que dans mes écrits, qui en sont directement inspirés.