Ce mot sanskrit, inconnu des cultures occidentales, se traduit par « manifestation ». Mais pas n’importe quelle manifestation. La Mourti est en effet une forme tenue pour divine, que les écrits védiques qualifient plus précisément d’archa-vigraha – une forme digne d’adoration. Qu’en est-il exactement?
On trouve dans tous les lieux de pèlerinage, dans toutes les églises et dans tous les temples du monde des images et des statues de divinités, de saints et de guides spirituels. Ces représentations visent à inspirer fidèles et pèlerins dans leurs dévotions et dans leur quête d’accomplissement spirituel.
Bien que ces images aient le plus souvent une valeur décorative ou symbolique, il arrive que certaines revêtent un caractère franchement sacré. C’est notamment le cas dans la tradition védique, où la Mourti joue un rôle central dans le développement spirituel des adhérents à diverses religions, écoles de yoga et mouvements transcendantalistes.
Les Védas expliquent que bien que l’Absolu, le Suprême ou Dieu soit partout présent, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de tout ce qui existe, il peut aussi se manifester sous l’une ou l’autre de ses innombrables formes personnelles pour permettre aux spiritualistes de le vénérer, de l’adorer et de le servir plus directement durant leur séjour sur Terre. C’est cette manifestation qui prend le nom de Mourti.
La matière se fait esprit
Voici comment cela fonctionne. Les critères selon lesquels une forme du Divin peut être représentée sont décrits en détail dans les textes védiques, de même que les matériaux dans lesquels cette représentation peut prendre forme. Il s’agit notamment de la pierre, du métal, de l’argile, du bois, de pierres précieuses, de sable, de peinture ou du mental, car oui, un spiritualiste peut très bien méditer en son for intérieur sur la forme de son Seigneur adoré, telle que décrite dans les Védas.
Lorsque la Mourti est destinée à être installée dans un lieu de culte, une procédure rigoureuse doit être respectée sous la direction d’un sage brahmana ou d’un maître accompli afin d’inviter le Seigneur des seigneurs a bien vouloir se manifester dans cette forme pour y recevoir l’adoration de ses dévots. Ce qu’il fait volontiers. Dès lors, bien que la Mourti ressemble à toute autre statue de pierre, de métal, d’argile ou de bois, il ne s’agit plus d’un simple objet matériel, mais d’une forme spiritualisée du Divin.
Grâce à ses pouvoirs inconcevables, l’Infiniment fascinant peut transformer la matière en esprit ou l’esprit en matière comme bon lui semble. Il peut donc recevoir notre service et nos actes de dévotion sous toute forme de son choix, et s’il accepte tout spécialement de se manifester en tant que Mourti, une forme visible à nos yeux imparfaits, c’est pour que nous puissions l’approcher plus facilement.
Ce faisant, il importe de noter qu’il ne s’agit pas pour autant de rendre un culte à une idole; c’est bien Dieu en personne que l’on sert et que l’on adore directement à travers la Mourti, car de par son essence, cette représentation de lui n’est pas différente de sa forme originelle. Dûment consacrée, elle devient un canal de communication authentique avec l’Absolu. Il en va comme d’une lettre mise à la poste. En la déposant dans une boîte reconnue par le service des postes, nous sommes assurés qu’elle parviendra à son destinataire, ce qui ne sera pas le cas si on la dépose dans n’importe quelle autre boîte. De même, en servant la Mourti, on échange directement et personnellement avec le Tout-puissant, ce qui ne serait pas le cas si l’on vouait un culte à n’importe quelle pierre ou bout de bois.
Ne pas faire feu de tout bois
La Mourti n’est d’ailleurs pas fabriquée selon les caprices de tout un chacun. Au même titre que sa sanctification lors de son installation, sa fabrication même doit satisfaire à des exigences précises. Ce qu’illustre bien une histoire récemment vécue.
Le responsable d’un temple védique souhaitait y installer une forme particulière de Krishna. Il alla donc trouver un artisan spécialisé à même de fabriquer la Mourti en question. Ce dernier accepta d’accéder à sa requête, et s’engagea à lui présenter le résultat de son travail six mois après avoir trouvé la pierre dans laquelle il allait sculpter la représentation divine demandée.
Le donneur d’ordre était toutefois impatient, et il souhaitait installer la Mourti dans les plus brefs délais. Il répondit donc au sculpteur:
— On trouve des blocs de pierre massifs dans de nombreuses régions. Où est le problème?
Le sculpteur le regarda comme un professeur devant un élève lent d’esprit.
— Je ne fabrique pas un vulgaire mortier. Je façonne une forme divine. Les Védas précisent qu’on ne peut utiliser à cette fin qu’une pierre imprégnée de vie. Lorsque c’est le cas, en frappant le bloc de pierre à sept endroits différents, il doit chaque fois résonner du son indiqué dans les textes faisant autorité en la matière.
Un second test s’impose en outre, car ce premier test ne suffit pas en soi pour s’assurer que la pierre est imprégnée de vie. Il existe un organisme qui ronge la pierre, et s’il la traverse de part en part en laissant derrière lui une trace visible de son passage, on peut en conclure qu’il s’agit d’une pierre «vivante», et qu’elle peut accueillir une manifestation divine. Sachez donc que je ne pourrai sculpter votre Mourti que dans une telle pierre, soit une pierre empreinte de poésie, à même d’insuffler toute la beauté et l’expressivité voulues à la forme finale. Soyez donc patient, et laissez-moi le temps de trouver le bloc de pierre approprié.
Une ouverture sur l’au-delà
Une fois façonnée et installée dans les règles, la Mourti fait l’objet d’une attention et d’un soin tout particuliers. On la baigne et on la revêt de somptueux vêtements et parures qu’on change tous les jours. On lui offre des guirlandes de fleurs fraîches et des repas composés de plusieurs préparations qui, ainsi sanctifiées, sont ensuite redistribuées à la congrégation et aux visiteurs. On lui offre aussi des flammes, de l’encens et diverses autres substances dans le cadre de célébrations tenues plusieurs fois par jour et accompagnées de chants et de danses. On décore son autel et son temple, et j’en passe.
Bref, puisque la Mourti incarne une manifestation personnelle du Divin, on la traite comme une personne, une personne qu’on aime et qu’on souhaite servir par tous les moyens pour se rapprocher d’elle et avoir des échanges réciproques avec elle. Il s’agit d’une façon on ne peut plus directe de voir Dieu sur Terre et d’apprendre à le servir et à l’aimer comme le font les âmes libérées dans le monde spirituel.
Il va sans dire que tout cela est pour le moins ésotérique sinon fantaisiste aux yeux et aux oreilles d’un profane ou d’un athée, mais pour une personne en quête de se réaliser pleinement sur le plan spirituel par la pratique d’une forme de yoga intime éprouvée de longue date, il s’agit d’une approche naturelle et salutaire à l’Absolu, ainsi que d’une ouverture sans pareille sur l’au-delà.
