«Quelle question! Vous voulez m’insulter ou quoi? Bien sûr que j’ai une âme.» Les amoureux fous de leur chat vous diront d’ailleurs la même chose. Mais blague à part, qu’en est-il exactement?
Pour faire court, chat et maître ont tous deux raison. Les humains n’ont pas le monopole des âmes. Tous les animaux, sauvages et domestiques, abritent aussi une âme. Notre chat offusqué commet toutefois une erreur qu’à peu près tout le monde commet: il aurait dû répondre non pas «j’ai une âme», mais «je suis une âme dans un corps de chat», tout comme nous sommes des âmes dans des corps humains. Les âmes sont les vivants qui séjournent dans tous ces corps qui ne le sont pas.
Cela dit, à quoi reconnaît-on la présence de l’âme? À la formidable différence de comportement entre les organismes vivants et les structures dépourvues de vie. L’existence de ces dernières comporte trois phases: création, détérioration et destruction, alors que celle des organismes vivants en compte trois de plus: croissance, reproduction et subsistance. Les Védas expliquent que ces trois phases supplémentaires – présentes aussi bien chez les animaux et les végétaux que chez les humains – sont dues à la présence de l’âme. On ne les retrouve dans aucun objet ni aucune autre structure inanimée.
Ce constat relève non seulement de textes védiques comme le Yajur-véda, la Brihad-aranyaka Upanishad et le Padma Purana, qui décrivent la transmigration de l’âme à travers les espèces, mais aussi d’écrits issus des traditions abrahamiques. Qu’il suffise de citer la Genèse, où il est dit que
toutes les créatures qui se trouvent sur terre, dans l’eau ou dans les airs ont en elles une âme (nèphech en hébreu) vivante (chay en hébreu). Ces deux même mots sont aussi repris dans divers passages de la Bible pour désigner l’âme qui anime chaque corps humain. Bref, qu’il s’agisse d’humains ou d’animaux, le principe demeure le même: tout être animé recèle une âme vivante, sans quoi il serait inerte.
Feu, miroir et embryon
Pourquoi donc certains croient-ils que les animaux n’ont pas d’âme? Autrement dit qu’ils ne sont pas aussi des âmes, mais recouvertes d’une enveloppe charnelle différente de la leur? Pour la simple et bonne raison qu’ils se méprennent sur le caractère unique ou exceptionnel, pour ne pas dire «supérieur» des humains.
Les grandes traditions spirituelles, qu’elles soient d’Orient ou d’Occident, s’entendent toutes pour dire que d’entre toutes les espèces vivantes, l’humain se distingue par le fait que lui seul possède un intellect suffisamment développé pour s’interroger sur le sens de la vie. Et de ce constat universel sur les facultés intellectuelles exclusives à l’humain, certains extrapolent à tort qu’il n’y a une âme que dans les corps humains. À tort parce que malgré leurs facultés amoindries, les animaux n’en traversent pas moins eux aussi les six phases d’existence caractéristiques de tous les organismes vivants, c’est-à-dire animés par un être vivant – une âme.
La raison pour laquelle l’humain possède des facultés supérieures à celles des animaux tient à ce que l’enveloppe charnelle qui recouvre l’âme voile ou obscurcit sa conscience à un moindre degré. La Bhagavad-gita explique:
«De même que la fumée masque le feu, que la poussière recouvre le miroir ou que la matrice enveloppe l’embryon, différents degrés de désirs recouvrent l’être.»
Bhagavad-gita 3.38
Dans ce verset, le feu masqué par la fumée fait référence à l’âme enveloppée d’un corps humain. Le miroir couvert de poussière, à l’âme enveloppée d’un corps animal. Et l’embryon entouré de la matrice, à l’âme enveloppée d’un corps végétal. De même que le pouvoir d’obscurcissement de la fumée, de la poussière et de la matrice est de plus en plus prononcé, les corps humains, animaux et végétaux voilent la conscience de l’âme de façon de plus en plus marquée.
Voilà pourquoi bien que l’âme soit de même nature et de même qualité dans tous les corps vivants, seul l’humain est à même d’exprimer et de réaliser la quête spirituelle de l’âme. Mais n’oublions pas pour autant que nos frères et sœurs du règne animal ont également cette spiritualité latente en eux, si ce n’est que leur âme n’en aura pas conscience dans cette vie.