La pratique de la méditation, comme celle du yoga, des mantras et d’autres disciplines védiques millénaires, s’est largement répandue au cours des dernières décennies. On l’enseigne désormais aux enfants et en entreprise, elle fait l’objet d’ateliers de plusieurs jours en forfait tout compris, elle s’offre en version guidée par téléphone ou en ligne… Les options ne manquent pas. Mais s’agit-il vraiment de méditation?
Malgré tous les bienfaits qu’on lui attribue – et qu’elle procure réellement – dans ses multiples formes actuelles, cette pratique est aujourd’hui le plus souvent détournée de son sens et de son objet. La méditation a en effet été conçue comme une discipline spirituelle, ce à quoi peuvent difficilement prétendre ses dérivés à la mode.
De fait, la méditation se situe au septième échelon du yoga en huit phases, codifié par le sage Patañjali et connu sous le nom d’ashtanga-yoga ou raja-yoga. Elle s’inscrit résolument dans une démarche de réalisation de soi, et n’a pour seul et unique objet que l’Absolu.
La méditation ne s’improvise pas
Avant de pouvoir pratiquer la méditation, le yogi doit d’abord franchir les six premières étapes du processus. Les deux premières (yama et niyama) sont conçues pour favoriser le contrôle de soi. Notamment en écartant tout ce qui pourrait nuire à son développement spirituel et en adoptant des règles de vie très strictes. Le yogi peut alors s’initier graduellement à la maîtrise des postures harmoniques (asana) et des mouvements d’air dans le corps (pranayama) grâce à des exercices savamment orchestrés. Suit l’apprentissage d’une maîtrise plus poussée des sens et du mental (pratyahara) en vue d’affermir la faculté de concentration (dharana). Or, ce n’est qu’une fois cette faculté pleinement développée qu’on peut réellement songer à aborder la méditation (dhyana).
Toujours partant?
Le yogi doit alors s’établir en un lieu retiré de tout. Prenant place sur un siège d’herbe recouvert d’une peau de daim et d’une étoffe douce, il lui faut garder le corps, le cou et la tête bien droits, et le regard fixé sur l’extrémité du nez. Yeux mi-clos pour ne pas risquer de s’endormir en les fermant ou d’être distrait par son environnement en les ouvrant complètement.
En parfaite maîtrise de ses sens, de son mental et de son intelligence, libre de tout désir et affranchi de la peur, il doit enfin méditer sur l’Absolu en son cœur (Paramatma) et en faire le but ultime de son existence. Ainsi absorbé de tout son être dans l’origine et la fin de tout ce qui est, il se purifie de toute attache matérielle et peut ainsi espérer atteindre le samadhi, le huitième et ultime degré du yoga, soit la pleine réalisation de soi et de l’Absolu.
Autres temps, autres mœurs
Une telle démarche exige une solide préparation et de très nombreuses années de pratique rigoureuse et assidue. Cette approche à la réalisation spirituelle était recommandée à une époque où les gens vivaient beaucoup plus longtemps que de nos jours et dans des conditions beaucoup plus propices à cette forme de méditation. Mais elle n’est pas du tout adaptée à l’ère actuelle, et les écoles qui l’enseignent malgré tout dans nos villes n’en offrent qu’un très pâle reflet.
Fort heureusement, il existe d’autres formes de méditation.
Les impersonnalistes, par exemple, méditent sur l’aspect diffus et omniprésent de l’Absolu (Brahman) plutôt que sur son aspect localisé et omniscient dans leur cœur. Ils privilégient la quête du savoir et l’analyse philosophique, et aspirent à se fondre dans la radiance infinie du Suprême en sacrifiant leur individualité pour échapper à l’existence matérielle.
Les spiritualistes qui ont conscience des multiples facettes de l’Absolu méditent quant à eux sur sa forme personnelle omnipotente (Bhagavan). Ils peuvent ainsi s’imprégner de son nom, de ses attributs, de ses activités et de ses gloires, échanger à son sujet et agir de manière à s’en rapprocher de plus en plus intimement. Cette approche est d’ailleurs la plus accessible, et correspond à la méthode de réalisation spirituelle recommandée par les Védas pour l’époque à laquelle nous vivons.
Le facteur crucial
Dans tous les cas, une constante demeure: la méditation porte sur l’Absolu et a pour but d’entrer en communion avec l’Absolu. Tout autre objet et tout autre but relèvent d’autre chose que la méditation.
Si je fixe mon attention sur une fleur, sur la flamme d’une bougie ou sur un objet quelconque sans aucune conscience de l’Absolu, il ne s’agit pas de méditation, mais d’un exercice de concentration.
Si je m’applique à rester immobile et à respirer consciemment, sans aucune considération d’ordre transcendant, il ne s’agit pas de méditation, mais d’un exercice de relaxation.
Si je m’efforce de faire le vide pour chasser les pensées négatives et ouvrir la porte aux énergies positives, il ne s’agit pas de méditation, mais d’un exercice de visualisation stérile. Le vide intérieur – l’absence de toute pensée, émotion ou volition – est en effet synonyme de mort, et toute tentative d’atteindre un tel état est vaine car jamais le mental ne saurait cesser d’être actif, fût-ce un seul instant. Sans compter que les énergies positives ne surgissent pas de nulle part, elles se cultivent.
Tant mieux si toutes ces pratiques peuvent contribuer à améliorer mon état de santé physique, émotionnel et intellectuel, comme c’est souvent le cas. Mais elles ne bénéficient qu’à mon corps matériel grossier et subtil. Elles n’ont rien de spirituel. Elles n’aident aucunement l’âme que je suis à réintégrer sa condition naturelle. Je peux toujours appeler ça de la méditation si ça me chante, mais ce n’en est pas. Ni l’objet ni le but n’en sont l’Absolu.
La formule magique
Ces précisions de mise étant apportées, je vous rassure tout de suite: méditer n’a pas à être compliqué pour autant. Le fait est que la méditation est vraiment à la portée de tous. Quelle que soit l’approche ou la pratique qui m’interpelle, le secret des secrets consiste à y intégrer l’ingrédient qui donne tout son sens à la chose, c’est-à-dire la conscience de l’Absolu.
Pour avoir l’Absolu à l’esprit, le porter en son cœur et s’en imprégner tout entier, il faut cependant le connaître. On ne peut pas méditer sur quelque chose qu’on ne connaît pas! D’où l’utilité d’écouter les exposés et de lire les écrits de maîtres compétents.
La forme de méditation la plus facile et la plus fructueuse en ces temps chaotiques reste toutefois la modulation de mantras. Les mantras sont en soi chargés d’énergie spirituelle, si bien que même une personne n’ayant aucune connaissance particulière de l’âme et de l’Absolu peut se plonger dans une méditation profonde en les scandant, en les psalmodiant, en les récitant ou en les chantant.
Qui plus est, la méditation mantrique peut se pratiquer à voix haute, à voix basse ou même en silence; seul ou en groupe; assis, debout ou en marchant; pendant quelques minutes ou plusieurs heures; chez soi, dans un sanctuaire ou dans la nature; en cuisinant, en attendant le métro ou dans les bouchons de circulation… Elle ne dépend d’aucune condition extérieure, et elle procure les mêmes bienfaits que la méditation des grands yogis d’une époque révolue. Qui refuserait d’en profiter pour progresser de plus en plus vers la pleine réalisation de soi?
Quelques suggestions
Pour ceux et celles que la chose intéresse, voici quelques suggestions de mantras particulièrement puissants.
Il y a bien sûr le fameux Om, la représentation sonore par excellence de la Vérité Absolue. Les trois lettres qui le composent, A-U-M, reflètent l’essence éternelle de tout ce qui est, ainsi que toutes les triades qui caractérisent l’Absolu ou qui en dépendent. Notamment l’éternité, la connaissance et la félicité; la création, le maintien et la destruction; les plans d’existence inférieurs, intermédiaires et supérieurs; les trois états de conscience que sont le sommeil profond, le rêve et le plein éveil…
Cette vibration fondamentale précède et introduit d’ailleurs de nombreux mantras védiques. Par exemple, Om namo Narayana, «Hommage et gloire à l’Absolu, ultime refuge de l’âme.» Ou encore l’invocation de l’Isha Upanishad:
om pournam adah pournam idam
pournat pournam oudacyate
pournasya pournam adaya
pournam evavashishyate
«L’Absolu représente le Grand Tout, parfait et complet en lui-même. Et parce que sa perfection est absolue, tout ce qui vient de lui forme aussi un tout complet en soi. Mais il n’en demeure pas moins le Tout suprême, même si un nombre incalculable de touts complets émanent de lui.»
Il y a aussi le fameux Govindam adi pourousham tam aham bhajami de la Brahma-samhita, «Je me voue tout entier à l’Être primordial, Govinda, qui réjouit tous les cœurs.»
Mon choix personnel va toutefois au maha-mantra, «le grand mantra de la transcendance» tout particulièrement recommandé pour cet âge dans la Kali-santarana Upanishad et diffusé à travers le monde depuis le 15e siècle à l’instigation du divin maître Chaitanya:
haré krishna haré krishna
krishna krishna haré haré
haré râma haré râma
râma râma haré haré
Krishna désigne l’Absolu comme «source de fascination pour tous les êtres», et Râma, comme «source de félicité transcendante». L’un et l’autre incarnent le principe masculin de l’Absolu dans sa forme personnelle, alors que Haré fait appel au principe féminin de l’Absolu et désigne l’énergie de bonheur et de plaisir qui rapproche de sa source. Masculin et féminin sont indissociables dans l’Absolu, tout comme l’énergie demeure à jamais liée à sa source. Cette forme d’invocation et de glorification de l’Absolu est celle qui m’inspire le plus et qui, effectivement, m’en rapproche le plus. En sera-t-il de même pour vous?