
Suite et fin de ce billet relatant la rencontre de Yadou Maharaja et d’un jeune voyageur hors de l’ordinaire. Ce dernier poursuit ici son hommage aux maîtres qui l’ont guidé sur le chemin de la grandeur d’âme, de la sagesse et de la pleine réalisation de soi.
Voir le volet précédent.
Le jeune voyageur dit:
— Les maîtres dont je t’ai jusqu’ici parlé ont tous contribué à mon instruction et à mon édification. Mais ce ne sont pas les seuls, il y en a eu plusieurs autres, car la nature est prodigue à cet égard. Ainsi personne ne peut jamais blâmer son ignorance sur l’absence d’occasions d’élargir sa conscience et de parfaire son existence. Mais juges-en par toi-même…
• J’ai appris du python à ne me nourrir que lorsque que quelque nourriture se présente à moi, et à jeûner lorsque ce n’est pas le cas. Plutôt en profiter pour me recueillir en mon for intérieur que de déployer de grands efforts à seule fin de me mettre quelque chose sous la dent. La nature ne fournit-elle pas gracieusement à tous les êtres ce dont ils ont besoin pour leur subsistance?
• J’ai appris de l’océan à rester égal à moi-même face aux hauts et aux bas de la vie. En temps de sécheresse, l’océan ne reçoit que peu d’eau des fleuves et rivières, alors qu’à la saison des pluies, ce sont d’impétueux torrents qui se déversent en lui. Mais jamais il ne se dessèche ni ne déborde pour autant. L’on doit ainsi apprendre à ne pas s’affliger de jours maigres et à ne pas se réjouir outre mesure en temps d’abondance.
• J’ai appris de la phalène, qui ne sait résister à l’attrait du feu et qui périt en s’y jetant, que l’on perd son intelligence en poursuivant aveuglément les plaisirs de la chair. Tout autour de nous se trouvent mille et une occasions d’oublier le but de l’existence et l’importance de maîtriser ses sens et son mental pour s’établir dans la transcendance.
• J’ai appris de l’abeille, qui butine de fleur en fleur en quête de nectar, à puiser l’essence des Écritures révélées et de tous les textes sacrés. Un verset à la fois, une page à la fois, un commentaire à la fois… autant de nourritures bénies pour nourrir mon âme au quotidien.
• J’ai appris du cerf, qui court à sa perte en répondant à l’appel du chasseur habile à jouer de son appeau, à ne pas succomber au chant des sirènes qui ne songent qu’à me détourner de ma voie pour leur procurer les plaisirs qu’elles convoitent.
• J’ai appris du poisson à ne pas mordre à l’hameçon de la gourmandise et des excès de table, annonciateurs de maux qui ne peuvent conduire qu’à la mort. On oublie trop souvent que le sens du goût est le plus difficile à contrôler, et qu’il exige par conséquent une attention toute particulière.
• J’ai appris du simple d’esprit que l’innocence et la pureté de cœur libèrent de toute angoisse et facilitent l’ouverture au Divin. L’insouciance du simple d’esprit et le détachement de l’âme réalisée en font d’ailleurs les deux seuls détenteurs d’un bonheur sans entraves.
• J’ai appris du serpent, qui préfère profiter du nid, du terrier ou de la tanière de quelque autre animal que de construire son propre chez-soi, qu’on ménage maints efforts en vivant simplement là où l’opportunité s’en présente. L’énergie ainsi épargnée peut alors être avantageusement consacrée à la quête du soi et de l’Absolu.
• J’ai appris de l’araignée, qui produit de sa bouche le fil nécessaire au tissage de sa toile pour ensuite le résorber lorsqu’elle a rempli sa fonction, comment le Seigneur de l’univers produit de sa volonté l’énergie nécessaire au déploiement de la manifestation cosmique pour ensuite, en temps et lieu, résorber cette manifestation en son énergie première.
• Il m’a aussi été donné de voir une guêpe capturer un insecte plus faible qu’elle et l’emprisonner dans son nid en attendant qu’il meure pour s’en nourrir. J’imaginai alors l’insecte dévoré par la peur du sort qui l’attendait, ses pensées sans cesse fixées sur son ravisseur, et j’ai alors compris qu’en étant ainsi parfaitement concentré sur la guêpe, il allait lui-même renaître sous la forme d’une guêpe au terme de son existence. Car ce sont les pensées de l’être au moment de quitter son corps qui déterminent les conditions de sa vie future. Or, ne vais-je pas moi-même trépasser en temps voulu? À quoi penserai-je alors sinon à ce sur quoi j’aurai concentré mon intelligence, mon mental et mes sens de mon vivant?
Ce ne sont là, ô roi, que quelques exemples des leçons de sagesse que j’ai pu tirer de mes maîtres. À vrai dire, tous les êtres et toutes les manifestations de la création peuvent agir comme maîtres auprès de ceux qui voient les choses comme elles sont. Tel est mon secret. Ceux à qui cette vision fait défaut ont donc tout intérêt à l’acquérir auprès d’une âme réalisée.