Infâme au sens de tristement célèbre et odieuse. Cette nouvelle série aux nombreux rebondissements émaillés de manœuvres politiques, de mensonges éhontés, de secrets trahis et de mystères mis au jour fait la lumière sur un large pan d’histoire travesti au profit d’intérêts pernicieux. Elle permet ainsi de mieux comprendre les racines de la civilisation et de la culture védiques grâce aux découvertes d’une imposante brochette de chercheurs, d’experts et de spécialistes dans un large éventail de disciplines.
Tel qu’enseigné dans nos universités et présenté par une majorité de sources officielles, le savoir actuel sur les origines de la littérature sanskrite et de la culture védique tient essentiellement à une théorie fabriquée de toutes pièces: la fameuse théorie de l’invasion aryenne du sous-continent indien vers 1500 av. J.‑C.
Cette théorie a fait l’objet de centaines de livres et d’articles savants aux quatre coins du globe. Elle a donné lieu à d’innombrables controverses qui ont fini par soulever l’ire et l’indignation d’historiens, d’archéologues, de paléontologues, d’ethnologues, d’anthropologues, d’exégètes des textes anciens et d’autres érudits qui n’ont eu de cesse de chercher à rétablir les faits. Mais certaines théories, même fallacieuses, ont la vie dure!
En gros, la théorie de l’invasion aryenne repose sur la prétention que le peuple emblématique de la civilisation védique n’était pas indigène de la région dont fait partie l’Inde que nous connaissons. Il s’agirait plutôt d’envahisseurs indo-européens originaires du Caucase ayant pris le contrôle de cette région pour ensuite composer les textes védiques et forcer les populations locales à adopter leur culture.
En apparence anodine, cette théorie aux multiples ramifications alimente depuis plus d’un siècle toutes sortes de conceptions erronées sur les Védas et la culture védique. Et ce, malgré le fait – il faut bien le préciser – qu’il n’existe aucun, mais absolument aucun document ou vestige historique, archéologique ou autre à l’appui d’une invasion aryenne! Nothing. Nada. Rien.
Mais comment diable…?
Peu de gens savent que la civilisation indienne précède la civilisation européenne de plusieurs milliers d’années. Et moins de gens encore savent que la civilisation indienne est en fait la plus vieille civilisation continue du monde.
Il ne subsiste aucune trace de l’Égypte pharaonique dans le quotidien des Égyptiens modernes. Sumer a disparu depuis longtemps, et les Mayas – convertis de force au christianisme il y a cinq cents ans – n’ont aujourd’hui que peu de véritables liens avec leurs racines anciennes. L’Inde, cependant, continue à évoluer sur fond de traditions millénaires encore bien vivantes.
Les premiers Européens à fouler le sol du sous-continent indien ont d’ailleurs constaté que la richesse et la profondeur de la culture qu’il leur était donné de découvrir reflétaient une identité et un passé dont l’origine remontait manifestement très loin dans le temps. À vrai dire beaucoup plus loin qu’ils n’étaient prêts à le reconnaître, puisqu’ils étaient persuadés d’incarner la fine fleur de l’humanité et d’être les porte-flambeau de la civilisation la plus avancée du monde.
Quelque appréciatifs de cette culture qu’aient pu être les premiers explorateurs de l’Inde millénaire, la soif de conquêtes et les ambitions commerciales de l’empire britannique en devenir n’ont d’ailleurs pas tardé à assombrir le tableau. Dès le tout début du 17e siècle, la Compagnie des Indes orientales est en effet créée par la reine Élisabeth 1re dans le but avoué de conquérir «les Indes» et de contrôler les échanges commerciaux avec l’Asie.
Premiers contacts avec le sanskrit
Au fil des décennies, tandis que l’organe officiel du pouvoir britannique déploie ses tentacules militaires et administratifs à la poursuite de ses objectifs, certains des nouveaux arrivants s’intéressent aux volumineux textes fondateurs de la culture locale, et entreprennent timidement d’en traduire le sanskrit pour en percer les secrets.
Entre alors en scène Sir William Jones. Brillant linguiste issu d’Oxford (il aura appris vingt-huit langues au terme de sa courte vie!), des difficultés financières l’obligent à changer de vocation. Il se tourne alors vers le droit et finit par être nommé juge de la Cour suprême à Calcutta. Loin d’avoir perdu son intérêt pour les langues, il s’attaque au sanskrit, et après l’avoir étudié pendant quatre mois, il annonce à la Société asiatique du Bengale nouvellement fondée que le sanskrit a d’évidentes parentés avec le latin et le grec, mais aussi avec le persan, les langues celtes et le gotique.
«Le sanskrit, dit-il à son auditoire, est plus parfait que le grec, plus riche que le latin et plus exquisement raffiné que l’un et l’autre, tout en présentant avec l’un et l’autre une affinité trop grande pour être accidentelle. Si grande, qu’aucun philosophe ne pourrait sérieusement les comparer sans acquérir la conviction qu’ils ont tous trois une source commune, même si celle-ci n’existe peut-être plus.»
The Works of Sir William Jones, éd. Anna Marie Jones, 13 vol., Londres: John Stockdale and John Walker, 1807, p. 3:34–35.
Ce qui n’était au départ qu’une idée séduisante finit par gagner des esprits désireux d’approfondir la chose. C’est ainsi qu’après avoir comparé la grammaire et le vocabulaire de quatre cents langues différentes, un polymathe anglais du nom de Thomas Young proposa le terme «indo-européennes» pour désigner les langues apparentées entre elles dans le contexte évoqué par Jones.
L’hypothèse de départ ayant franchi une étape de plus, ce terme fut très tôt repris par d’autres savants, attirés par la perspective de trouver la mystérieuse source commune à toutes ces langues. D’autant que dans la première moitié du 19e siècle, les nations européennes étaient en proie à une sorte de crise d’identité, chacune d’elles cherchant ardemment à faire valoir sa supériorité sur les autres. Or, pour étoffer l’hypothèse d’une langue-source indo-européenne, il était plus que souhaitable de donner corps et vie à un peuple ayant parlé cette langue. C’est ainsi qu’est née la notion de race indo-européenne, dont on parle encore de nos jours.
À suivre…