Nous avons vu, dans le premier volet de cet article, que la foi ancrée dans la tradition avait peu à peu cédé le pas à la foi en la science, mais son histoire ne s’arrête pas là, et elle n’a de toute façon pas dit son dernier mot.
Avec le temps, cette nouvelle foi en la science moderne allait être elle-même mise à mal avec l’avènement du postmodernisme. Depuis le début du vingt-et-unième siècle, la foi en la sacro-sainte science accuse en effet un déclin de plus en plus marqué. Le siècle des Lumières, qui a intronisé la modernité, trahissait déjà certaines désillusions quant à la science et à ses promesses. Et les guerres dévastatrices du vingtième siècle, doublées de lourdes menaces environnementales sous l’impulsion des progrès de la science, n’ont fait qu’éroder encore davantage son prestige et sa suprématie.
On s’entend naturellement pour dire que la science a permis et permet encore de grandes réalisations, mais sans vision d’ensemble des répercussions de ses avancées, et souvent au détriment même de l’humanité qu’elle est censée servir. C’est ce qui amène la génération postmoderne à se dissocier aussi bien de la science que de la religion en tant qu’objets de foi dominants. Ne compte plus que l’expérience subjective de chacun.
Le relativisme absolu devient roi. À chacun de penser et d’agir comme il l’entend. « À chacun sa vérité », entend-on de plus en plus. Beaucoup de gens ont en effet le sentiment d’avoir été bernés et abusés tant par la science que par les religions canoniques, voire par tous les puissants de ce monde, si bien qu’ils se disent que leurs croyances et leur vision du monde sont tout aussi valables que celles de tous leurs congénères. Ils n’ont plus foi qu’en eux-mêmes.
Dans un monde de plus en plus complexe, on constate que les gens s’accrochent à ce qu’ils peuvent pour donner un sens à leur vie. Alors que les traditions spirituelles et les grandes théories scientifiques proposent chacune à sa façon une vision unifiée et universelle du monde, une humanité de plus en plus déconnectée des courants de pensée dominants ne jure plus que par l’individualisme.
Foi et vérité
Est-ce à dire qu’il faut baisser les bras et sacrifier toute autorité fondée aux vues changeantes et capricieuses des anticonformistes et des relativistes désabusés? Sûrement pas. Les yeux de la déraison ne savent que déformer la réalité. Au profit de la spiritualité – toute personnelle – et de la vie en général – largement sociale –, il convient plutôt de contextualiser la foi.
En sanskrit, la foi se dit shraddha, un mot composé de shrat, « vérité », et dha, « qui comporte ». Avoir la foi, c’est donc mettre sa confiance dans une vérité. Mais quelle vérité? La Bhagavad-gita nous dit:
«Selon sa constitution et ses dispositions psychologiques, chacun développe une foi particulière.»
Bhagavad-gita 17.3
Plus précisément, selon les traits de personnalité hérités de son karma et les influences reçues de son environnement, une personne est naturellement encline à prêter foi à une forme de vérité plutôt qu’à une autre. Et comme les influences qu’elle reçoit au fil de son existence peuvent varier, l’objet de sa foi peut également varier. La vérité dans laquelle elle met sa confiance revêt dès lors un caractère relatif. Ce qui suppose que la foi peut être de différentes qualités.
Les visages de la foi
Les objets sur lesquels peut porter la foi s’inscrivent en effet dans une gradation que les Védas découpent en trois catégories.
Au bas de l’échelle se trouvent les objets de foi irréels, ou illusoires. Objets de rêve ou de fantaisie, utopiques ou fantastiques, qui n’existent pas ou dont rien ne soutient l’existence, mais dont l’idée ou la notion existe, et qui peuvent ainsi susciter un engagement émotionnel ou intellectuel. On peut clairement parler ici de foi aveugle.
Au second degré se trouvent les objets de foi réels mais temporaires. On peut, par exemple, mettre sa confiance dans une personne, une entreprise, une institution ou une idéologie, c’est-à-dire dans leur capacité à satisfaire certaines attentes ou à combler certains besoins. Mais bien que ces objets de foi soient tangibles, ils sont périssables et sujets à changer. La science empirique en fait partie, de même que les religions préoccupées de piété à des fins intéressées, d’activités humanitaires, de prospérité économique et de toutes autres considérations parfaitement valables en soi, mais totalement étrangères à l’esprit même de la spiritualité et de la transcendance.
Au sommet de l’échelle se trouvent les objets de foi réels et permanents. Il s’agit là de tout ce qui relève de la nature purement spirituelle de l’Absolu, des âmes individuelles que sont tous les êtres vivants, de la relation qui les unit à l’Absolu, ainsi que des connaissances et des pratiques qui en sous-tendent la pleine réalisation. Seuls les objets de foi fondés sur l’essence même des êtres et des choses sont permanents; aucun objet de foi matériel ne peut l’être.
Un choix s’impose
Les tenants des deux premières catégories mettent leur foi dans des vérités relatives dont il existe une multitude et dont nous ne finirons jamais de voir apparaître de nouvelles variantes et extrapolations. Seuls les tenants de la troisième catégorie mettent leur foi dans une vérité absolue, éternelle, pleinement consciente et bienheureuse.
Puisque nous sommes nous-mêmes de nature spirituelle et éternelle, aucune vérité relative et temporaire ne peut étancher notre soif de paix et de bonheur sans limites. Jamais l’âme qui se cache derrière notre constitution physique et nos dispositions psychologiques ne saurait se satisfaire de l’imparfait, de l’incomplet ou de l’impermanent. La seule foi qui peut la nourrir pleinement est celle qui lui permet de renouer avec sa véritable nature et de raviver sa relation intime à l’Absolu.
La foi dont l’objet est absolu diffère fondamentalement de celle qui s’attache aux strictes traditions religieuses, aux recherches empiriques de la science moderne ou aux subjectives expériences personnelles. Elle est de fait inaltérable en raison même de la nature de son objet. Et elle seule permet d’unir les yeux du cœur à ceux de la raison.
À nous d’apprendre à mettre notre foi en ce qui compte vraiment pour tirer le meilleur parti de notre existence.
Adapté d’un article de Harivamsha dasa paru dans la revue Back to Godhead.