La foi a souvent été définie comme la faculté de voir avec les yeux du cœur. Et Pascal disait que le cœur a ses raisons, que la raison ne connaît point. Quoi qu’il en soit, il serait bien difficile de parler de spiritualité sans parler de foi. Cela dit, la foi étant largement tenue pour irrationnelle, est-ce à dire que la spiritualité relève du fantasme?
Le mot «foi» nous vient du latin fides, qui signifie avoir confiance en quelqu’un ou en quelque chose. Ce quelqu’un ou ce quelque chose peut être de ce monde ou appartenir au domaine du surnaturel, mais dans tous les cas, l’objet de la foi doit échapper à nos facultés perceptuelles. Autrement dit, il n’y a pas lieu d’avoir foi en ce qu’on peut voir, sentir, entendre, goûter ou toucher, puisque l’on en a une expérience directe.
À titre d’exemple, la vue d’une pomme mûre qui tombe d’une branche et poursuit sa chute jusqu’à s’immobiliser au sol ne nécessite aucune intervention de la foi. La loi de la gravité, par contre, qui stipule que tout objet en chute libre est soumis à l’attraction terrestre, est une abstraction théorique qui échappe au domaine des sens. Nous voyons certes tomber des objets, mais nous n’avons aucun moyen d’être sûrs qu’un objet donné tombera de la sorte en tout lieu et en toutes circonstances. Personne n’a d’ailleurs jamais pu vérifier que la loi en question s’appliquait à tous les objets en tout temps et en tout point de la terre. Pourtant, bien qu’il soit impossible d’en prouver la validité universelle et absolue, tout le monde a foi en cette théorie.
Il en est de même des théories, des préceptes et des récits historiques que renferment les textes fondateurs de diverses traditions spirituelles. Ils transcendent toute possibilité d’en faire l’expérience directe à travers nos sens, et personne ne peut prouver ni réfuter leur véracité au-delà de tout doute. Néanmoins, à l’instar de la loi de la gravité qui, sur le plan matériel, offre un degré de prévisibilité appréciable, la teneur des textes dits sacrés ou révélés offre à de larges pans de l’humanité une vision et des repères éprouvés qui donnent à la vie un sens non seulement matériel, mais aussi moral et spirituel.
La foi n’est pas l’apanage que du spirituel
Le fait est que tout comme les voies d’élévation de l’esprit au-delà de la sphère temporelle, la science moderne fait amplement appel à la foi. On oublie trop souvent que nombre de théories scientifiques d’hier, tenues pour vraies par la majorité, ont successivement été réfutées et remplacées par d’autres, apparemment, ou du moins temporairement plus conformes à la réalité d’un point de vue empirique, mais non moins impossibles à prouver de façon définitive. À chaque étape, pourtant, les scientifiques avaient la foi d’avoir trouvé la bonne formule.
Oui mais, dit-on, la science a le mérite de procéder par expérimentation, de tester ses hypothèses par la pratique. Ses résultats sont observables et reproductibles. Sans doute, mais les tenants d’une forme ou une autre de spiritualité vivante vous diront exactement la même chose. Ils font quotidiennement l’expérience concrète et renouvelée des bienfaits que leur procure l’application des principes éprouvés auxquels ils adhèrent.
Par ailleurs, il importe de souligner que nombre de théories scientifiques d’aujourd’hui sont purement hypothétiques. Elles ne reposent sur aucune observation, elles sont impossibles à tester, et elles n’offrent aucune reproductibilité. Elles ne satisfont à aucun des critères de la méthode scientifique. Certaines ne sont à vrai dire que de pures abstractions mathématiques visant à expliquer des phénomènes sur lesquels les sciences dures n’ont aucune emprise. De mauvaises langues iraient jusqu’à dire que de telles théories n’ont à proprement parler absolument rien de scientifique. Mais il n’en reste pas moins que c’est ainsi que progresse la science moderne, d’élans de foi en élans de foi qui ouvrent la porte à de nouvelles voies d’exploration et de compréhension de la réalité. Comme en témoigne l’exemple de la théorie gravitationnelle, la foi est une incontournable pierre angulaire de la science.
Les scientifiques puisent assurance et réconfort dans l’étude et l’analyse chimique, physique et mathématique de l’univers et de la matière dont il est constitué, tandis que les spiritualistes fondent leur existence sur la perception et l’entendement des forces qui animent la matière et des mécanismes intimes qui régissent les rapports de l’homme à l’univers et à l’absolu plutôt qu’au relatif. Les yeux de la raison n’ont pas à s’opposer aux yeux du cœur, mais l’histoire de l’humanité – surtout depuis la Renaissance – n’a cessé d’accentuer le clivage entre ces deux visions conjointes de la réalité.
Désolante polarisation
Le 22 juin 1633, le mathématicien, physicien et philosophe connu sous le nom de Galilée est condamné pour hérésie par le tribunal de l’Inquisition romaine. Sa faute? Avoir soutenu la théorie héliocentrique, selon laquelle la Terre tourne autour du Soleil, alors que prévaut à l’époque la théorie géocentrique d’Aristote – adoptée par les églises catholique et protestante –, selon laquelle le Soleil tourne autour de la Terre, tenue pour le centre fixe du monde.
L’accusé n’échappera à la prison et au bûcher qu’au prix d’une abjuration totale et publique de sa «fausse doctrine», laquelle n’en deviendra pas moins, un siècle plus tard, la théorie cosmologique officiellement admise! Galilée avait une grande foi en Dieu et en les Écritures pour tout ce qui touche aux questions d’ordre spirituel. Mais au contraire des institutions en place, qui n’en faisaient qu’une lecture littérale en ce qui concerne les phénomènes observables sur le plan terrestre, il s’inscrivait dans la lignée de ceux qui prônaient le pragmatisme et la recherche empirique en contrepartie de la seule tradition.
Ainsi s’amorçait la lente et inexorable montée du règne absolu de la raison sur les voies du cœur et de l’âme; le sacrifice des doctrines ancestrales au profit d’une modernité qui promettait des explications rationnelles à tous les mystères de l’univers. Les grands pontes de la science s’opposèrent de plus en plus farouchement à l’hégémonie prévalente des écoles de pensée religieuses, et finirent par s’en dissocier complètement, creusant ainsi un fossé de plus en plus large entre les deux.
Ce qui n’avait longtemps été qu’un débat soutenu sur l’apport respectif de la révélation et de la raison cédait désormais le pas à une rupture totale entre les deux. Les enseignements spirituels, les valeurs morales, les principes de vie et les récits édifiants propres à la tradition ne seraient plus considérés que comme des fabulations et des distractions dépourvues de toute pertinence dans une société progressiste. L’objet de la foi humaine passait du coup des traditions millénaires à la science moderne.
Mais le cœur n’avait pas dit son dernier mot! À suivre, donc…