En instruisant son disciple, Krishna lui révèle un savoir dont la profondeur se mesure à différents niveaux. Ce savoir est tenu pour secret à plusieurs égards, en ce que nul avant lui ne l’avait ni n’aurait pu le dévoiler.
Adapté d’un article de Steven J. Rosen paru dans la revue Back to Godhead.
«D’entre toutes les sciences, ce savoir est roi, le secret d’entre les secrets, la plus pure des connaissances. Impérissable et d’application joyeuse, il incarne la perfection de la spiritualité, car il permet de réaliser directement le soi.»
Bhagavad-gita 9.2
La Bhagavad-gita est considérée comme une entrée en matière à la spiritualité, un texte de base qui énonce les principes clés de toute démarche axée sur la pleine conscience et la réalisation de soi. Ce dont on parle moins, c’est qu’on y trouve aussi les ferments d’un profond savoir qui recèle les plus précieux secrets de la transcendance.
En étudiant les enseignements des grands maîtres védiques à travers les âges, on découvre que la Bhagavad-gita renferme cinq niveaux d’instructions.
Au premier niveau se classent les considérations d’ordre général, allant des simples codes moraux et principes éthiques aux vérités spirituelles les plus élémentaires. Par exemple:
«La mort est certaine pour qui naît, et certaine la naissance pour qui meurt.»
Bhagavad-gita 2.27
«En contemplant les objets des sens, une personne s’y attache; de cet attachement naît la convoitise, et de la convoitise, la colère. La colère appelle l’illusion, et l’illusion entraîne l’égarement de la mémoire. Quand la mémoire s’égare, l’intelligence se perd, et l’on choit à nouveau dans l’océan de l’existence matérielle.»
Bhagavad-gita 2.62-63
«Qui garde la mesure dans le manger et le dormir comme dans le travail et la détente peut, par la pratique du yoga, atténuer les souffrances de l’existence matérielle.»
Bhagavad-gita 6.17
Il s’agit globalement d’enseignements axés sur le dharma, le sens du devoir, et la science de l’action (karma-yoga), assortis de principes philosophiques fondamentaux, comme la réincarnation.
Au deuxième niveau se trouvent des enseignements que Krishna lui-même qualifie de «secrets» (guhya). Ils gravitent globalement autour de la nature spirituelle de l’âme, du fait qu’elle est distincte du corps et qu’elle est une émanation fragmentaire du Suprême. Ces données sont fournies dans les premiers chapitres de la Bhagavad-gita, et ils relèvent de la connaissance du Brahman, soit de la conception primordiale de l’Absolu, des êtres vivants et des mondes matériel et spirituel.
Au troisième niveau appartiennent les enseignements que Krishna dit «plus secrets» (guhyatara). À savoir qu’il y a en fait non pas une, mais deux âmes dans chaque corps: l’âme individuelle (atma) et l’Âme suprême (Paramatma). Et que la première, infinitésimale, est subordonnée à la seconde. Que tous les êtres sont en outre appelés, par diverses pratiques yogiques, à voir le Divin dans le cœur de chacun aussi bien que partout ailleurs, en chaque atome et entre tous les atomes.
Au quatrième niveau trône le savoir que Krishna déclare être «le plus secret» (guhyatama). Les enseignements de cet ordre débutent par ces mots à la toute fin du neuvième chapitre de l’ouvrage:
«Emplis toujours de moi tes pensées, deviens mon dévot, offre-moi ton hommage et voue-moi ton adoration. Entièrement absorbé en moi, certes tu viendras à moi.»
Bhagavad-gita 9.34
Ce verset fait clairement ressortir la nature divine de Krishna. Il affirme d’ailleurs lui-même plus loin:
«Celui qui sans l’ombre d’un doute me sait être Dieu, la Personne Suprême, détient la connaissance universelle. C’est pourquoi, ô descendant de Bharata, il me sert de tout son être avec amour et dévotion.»
Bhagavad-gita 15.19
Pour aussitôt ajouter:
«Ce que Je te révèle ici constitue la part la plus secrète des Védas. Quiconque en saisit la teneur acquiert la sagesse et voit ses efforts couronnés de perfection.»
Bhagavad-gita 15.20
Il importe en outre de souligner que la recommandation ultime de Krishna énoncée au verset 9.34 ci-dessus – la plus secrète et la plus confidentielle – se verra répétée au dix-huitième chapitre. Ce qui en marque bien l’importance et l’urgence aux yeux du Seigneur des seigneurs.
L’affirmation formelle et sans détour de cette voie d’action et de réalisation dans le neuvième chapitre ne laisse toutefois rien transparaître du sentiment personnel de Krishna envers son dévot. Il affirme bien sûr qu’une personne qui absorbe sa conscience, ses pensées et ses actes en lui finira par l’atteindre, mais pour mieux comprendre ce qui l’inspire à faire cette promesse, il faut se tourner vers le rappel de son exhortation au dix-huitième chapitre:
«Emplis toujours de moi ton mental, deviens mon dévot, offre-moi ton hommage, voue-moi ton adoration, et certes à moi tu viendras. Je te le promets, car tu es mon ami, infiniment cher.»
Bhagavad-gita 18.65
Bien que ce verset soit pratiquement identique à celui du neuvième chapitre, la dernière phrase introduit un cinquième niveau d’enseignement. Autrement dit, au chapitre neuf, Krishna met l’accent sur l’amour de son dévot pour lui, alors qu’au chapitre dix-huit, il met l’accent sur l’amour qu’il porte lui-même à son dévot. En dernière analyse, la voie de l’adoration et du service empreint d’amour et de dévotion envers le Divin n’est pas une voie à sens unique. Elle est fondamentalement réciproque, fondée sur une relation affectueuse intimement partagée et mutuellement enrichissante.
Tous ces secrets…
Pour boucler la boucle des trois secrets annoncés, écartons tout d’abord le premier niveau d’instruction, présenté d’entrée de jeu comme un ensemble de vérités élémentaires. L’enseignement secret de Krishna – le premier secret – débute au second niveau, et il porte essentiellement sur le Brahman, l’aspect impersonnel de l’Absolu, et la nature de l’âme. Le troisième niveau d’instruction se concentre sur le Paramatma, l’aspect localisé de l’Absolu, et correspond au deuxième secret, plus profond que le premier.
Quant au troisième secret, le plus confidentiel des trois, il tient à la fusion des quatrième et cinquième niveaux d’enseignement. L’un et l’autre mettent l’accent sur le service et l’adoration du Suprême en pleine conscience, sous le signe de l’amour et de la dévotion. Ils dévoilent le caractère intime et personnel de la relation réciproque qui unit chaque être au Seigneur des seigneurs, et le Divin lui-même (Bhagavan, ou l’aspect personnel de l’Absolu) à chaque être.
Ces trois secrets jalonnent la voie de tous ceux et celles qui cherchent à tirer pleinement parti de leur forme humaine pour comprendre les mystères de la vie et de l’univers, et pour atteindre la plus haute destination qui soit au terme de leur existence, en contact étroit avec le Suprême.
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À ceux et celles qui souhaitent se familiariser avec le contenu du grand classique de la littérature védique qu’est la Bhagavad-gita avant d’en entreprendre une étude plus poussée, je me permets de suggérer de lire Un dialogue sans âge, fruit de plusieurs décennies de recherches, d’études et de pratique.