Qui se préoccupe encore de salut en cette ère du «On ne vit qu’une fois.» et du «Enjoy!» tous azimuts? On peut dire sans risque de se tromper que cette notion n’a plus guère d’écho dans l’esprit de monsieur et madame Tout-le-monde. Les Védas mettent cependant les choses en perspective.

Extra ecclesiam nulla salus, écrit Cyprien de Carthage au 3e siècle: «Hors de l’Église, point de salut.» L’enfer, le purgatoire et le paradis hantent les consciences, et l’évêque décrète sans ambages que personne ne peut être sauvé à moins d’adhérer corps et âme à la foi catholique. Diktat qui a d’ailleurs encore cours dans certains cercles.

Pour faire court, le salut dont il est alors question repose sur l’affranchissement du péché pour pouvoir accéder au paradis. Et ne s’affranchissent du péché que ceux et celles qui suivent leur religion au pied de la lettre, faute de quoi ils sont voués à la damnation éternelle. Les Védas proposent toutefois une vision plus large de la chose. Je ne vais donc pas vous parler d’anges et de démons, mais plutôt de principes évolutifs.

Les Védas conçoivent en effet le salut non pas comme une voie à sens unique, mais plutôt comme un processus de maturation. Et le sens même de «salut» y prend une autre connotation, puisqu’il tient à la pleine réalisation de soi. On pourrait donc ici, pour plus de clarté, remplacer «les quatre principes du salut» par «les quatre buts de l’existence», ou mieux encore «les quatre clés de l’évolution». Et ces quatre principes, buts ou clés ont pour nom en sanskrit dharma, artha, kama et moksha.

Dharma

Le dharma est au fondement même d’une vie humaine digne de ce nom. Comme expliqué dans un billet antérieur, ce mot peut avoir plusieurs sens selon le contexte dans lequel il est employé. Dans le cas présent, il fait référence au respect des valeurs universelles d’intégrité, de loyauté, de compassion et de vertu, ainsi qu’à l’accomplissement des devoirs et responsabilités de chacun dans le cadre des divisions naturelles de la société et de notre existence sur Terre.

Voir 4 divisions naturelles de la société.
Voir 4 divisions naturelles de l’existence.

Cela dit, le dharma peut aussi s’exercer par la pratique d’une religion. Nous connaissons tous les abus et les aberrations imputables à l’institutionnalisation de la foi depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours. Mais même au sein des Églises les plus corrompues, il y a toujours eu et il y a encore de fervents spiritualistes et d’honnêtes fidèles. Quoi qu’il en soit, le principe du dharma pris sous cet angle demeure le même: s’efforcer de mener une vie bonne et de devenir une meilleure personne.

Artha

Il est ici question de développement économique et d’accumulation de biens et richesses. L’échelle des principes du salut ou des clés de l’évolution veut que le dharma soit gage d’artha, autrement dit qu’une vie saine de corps et d’esprit favorise la prospérité. Beaucoup de gens se conforment d’ailleurs aux règles de vie prescrites ou aux pratiques rituelles d’une religion dans le but avoué d’en tirer des avantages matériels sous forme de santé, de succès ou de fortune.

Les préoccupations d’ordre matériel sont ici de toute évidence plus présentes que la spiritualité à proprement parler, mais comme nous le verrons dans la suite des choses, ce principe peut néanmoins contribuer à l’évolution de tout individu désireux de parfaire son existence.

Kama

Une plus grande aisance facilite tout naturellement la vie. On peut alors mieux combler ses désirs de jouissance sensorielle, émotionnelle et intellectuelle. On peut s’offrir davantage de plaisirs, petits et grands, et goûter le meilleur des bonheurs que ce monde a à offrir. C’est là le principe du kama, un des principaux buts de l’existence.

Ainsi récompensés par la vie, certains font preuve de gratitude envers leurs divinités tutélaires ou envers le Maître de l’univers, et de générosité envers les plus démunis, dans l’esprit de donner au suivant. D’autres s’abandonnent sans réserve à tous les plaisirs qu’ils peuvent s’offrir et vont jusqu’à en faire leur seule raison d’être. Mais dans un cas comme dans l’autre, il arrive qu’on se lasse de ressasser les mêmes plaisirs qui, somme toute, ne procurent jamais un bonheur durable, et qu’on prenne conscience de ce que la vie a sûrement mieux à offrir. C’est alors qu’entre en jeu la quatrième clé de l’évolution.

Moksha

Ce mot sanskrit veut dire «libération». Quiconque réalise que la vie en ce monde est une suite ininterrompue de joies et de peines sous l’effet des toutes-puissantes lois de la nature en vient tôt ou tard à s’interroger sur le sens d’une telle vie. Sur son identité réelle. Sur ses origines et sa finalité. Sur la nature du véritable bonheur et sur la façon de s’affranchir des maux inhérents à l’existence à l’intérieur d’un corps matériel. Une telle personne ne songe plus qu’à briser une fois pour toutes la roue du karma et l’interminable cycle des morts et des renaissances.

Débute alors une vie spirituelle plus profonde, plus riche et plus sentie, seule capable de mener à la perfection de l’existence – une autre façon de parler de salut. Et ce but peut-être atteint avant même d’être libéré des entraves de la matière. Car à partir du moment où l’âme sait être de nature spirituelle, comprend sa place et son rôle dans l’univers, et entreprend de raviver sa relation avec le Suprême en le servant avec amour en pensées, en paroles et en actes, elle a déjà atteint la perfection de l’existence. La suite ne peut alors être qu’une vie empreinte de savoir, de félicité et d’éternité, en ce monde et au-delà.

Voilà comment les Védas conçoivent le salut.

Les quatre principes du salut