Les sociologues définissent l’aliénation comme l’inaptitude à communiquer avec ses proches, avec son environnement ou avec soi-même. Ce phénomène, relativement peu répandu par le passé, s’accroît à une vitesse alarmante depuis quelques décennies. Les experts attribuent essentiellement cette tendance sans précédent à l’apparition d’un tout nouveau mode de vie et de pensée en rupture marquée avec toutes les idéologies qui ont tissé l’histoire de l’humanité.
La modernité, en essor depuis le 18e siècle – siècle dit «des Lumières» –, avait déjà bousculé beaucoup de choses avec la mécanisation, l’industrialisation et l’informatisation de vastes pans de l’activité humaine. Mais voilà que, depuis la fin du 20e siècle, le postmodernisme nous entraîne dans une spirale de remise en question globale.
Remise en question des valeurs sociales et familiales, des structures économiques, des institutions religieuses et politiques, des normes de travail, et jusqu’à la notion même de progrès, voire d’identité de genre! Primauté des droits individuels au détriment des responsabilités garantes de communautés humaines saines et prospères. Rectitude tous azimuts, écoanxiété, dépendances de toutes sortes…
Les déséquilibres qui en résultent provoquent une myriade de problèmes psychologiques qui ne cessent d’accentuer le phénomène d’aliénation qui caractérise notre époque plus que toute autre. Un vide de sens généralisé fomente de plus en plus la désillusion, le pessimisme et le goût de la destruction. L’historien Theodore Roszak observait d’ailleurs:
«La société actuelle projette du monde une image nihiliste sans exemple depuis le début de l’histoire humaine.»
Le grand vide
Pourtant, il n’y a pas si longtemps encore, une vaste majorité d’hommes et de femmes de toutes les ethnies et cultures voyaient, dans les cycles universels, dans les manifestations de la nature et dans le génie humain, la présence d’une force ou d’une intelligence supérieure, généralement reconnue comme étant de nature divine, ou à tout le moins surnaturelle.
Mais la science a peu à peu déboulonné une foule de croyances en exposant l’origine et les mécanismes purement chimiques ou physiques d’une gamme grandissante de phénomènes. Si bien qu’une humanité depuis longtemps habituée à vivre dans un monde plein de signification sous le règne d’une présence unifiante et harmonisante a dû – et doit encore – lutter pour s’adapter à un monde où tout ne serait qu’équations froidement mathématiques et dénuées de dessein. Un monde somme toute vide de sens propre.
Or, à vivre dans un monde vide de sens, l’existence elle-même perd son sens. On a beau chercher à donner un sens à sa vie en multipliant les expériences et les performances, ou en recherchant des sensations de plus en plus fortes, les fondements mêmes de la vie y sont laissés pour compte. L’essentiel de nos rapports avec les autres, avec la nature et avec nous-mêmes tend à se perdre, et la dérive qui en découle engendre bel et bien diverses formes d’aliénation qui donnent lieu à mille et une aberrations.
Pour reprendre la conclusion d’un récent congrès de psychanalystes: de plus en plus de patients souffrent d’une insatisfaction qui mine la force vitale et qui se traduit par angoisse, ennui, apathie, cynisme et désespoir. En un mot: aliénation. Ou comme l’écrivait l’auteur dramatique Eugène Ionesco:
«Coupé de ses racines métaphysiques et spirituelles, l’homme est perdu. Ses actions deviennent dépourvues de tout sens et utilité, absurdes.»
Quand la science parle à travers son chapeau
Des prix Nobel tels Jacques Monod, Francis Crick et Richard Dawkins, pour ne nommer que ceux-là, n’ont pas hésité à déclarer avec emphase que l’hypothèse d’une intelligence quelconque derrière notre univers leur apparaissait comme une idée puérile. Pour eux comme pour beaucoup d’autres scientifiques, tout relève du hasard absolu, et les notions d’âme ou de Dieu appartiennent au monde de l’imaginaire.
On peut toutefois se demander de quelle autorité se réclament biologistes, physiciens, chimistes ou mathématiciens pour claironner de telles affirmations, alors que tout ce qui échappe à leurs facultés perceptuelles de même qu’à leurs méthodes d’observation et d’analyse dépasse complètement leur champ de compétence! Autrement dit, ils n’ont aucune idée de quoi ils parlent, pour la simple et bonne raison qu’ils n’en ont aucune connaissance. Le spirituel n’est pas dans leurs cordes.
Jusqu’à quand laisserons-nous des scientifiques user de leur notoriété pour nous abreuver de leurs propres croyances sans pouvoir fournir la moindre preuve à l’appui de leurs assertions? Jusqu’à quand apprendra-t-on à nos enfants que l’homme n’est qu’un «singe nu» ou qu’un «mécanisme biochimique doté d’une prodigieuse capacité à emmagasiner des informations codifiées»? Jusqu’à quand chercherons-nous à nous convaincre que l’univers n’est que le fruit d’un hasard inexplicable, sans cause aucune et sans finalité aucune?
Comprenons-nous bien: la science n’est pas un mal en soi. Loin de là. Nous lui devons d’innombrables avancées dans la connaissance du corps humain, des animaux, des plantes, des phénomènes naturels et célestes, et de l’univers en général. Nous lui devons en outre une myriade de réalisations plus remarquables les unes que les autres dans une foule de domaines.
Reste que non seulement la science n’entend absolument rien au spirituel, au surnaturel ou ne serait-ce qu’à la nature et à l’origine de la vie, elle ne s’y intéresse même pas! Rien de tout cela n’est directement observable et mesurable. Ce n’est tout simplement pas son domaine. Ne devrait-elle donc pas avoir la décence de reconnaître qu’elle n’y connaît rien au lieu de scander des slogans sans fondement? Pas très scientifique comme approche… Comme quoi l’aliénation peut même frapper les plus grands esprits!
Ces prémisses jetées, il convient de s’intéresser de plus près à la source du mal, et surtout à la façon d’y remédier, ce dont je vous entretiendrai dans un deuxième volet de cet article.