La série consacrée à l’épopée du Mahabharata racontée par Normand Vanasse se poursuit…

Voir l’épisode précédent.

Les héritiers de Dhritarashtra

et le sort de Pandou

Gandhari, l’épouse de Dhritarashtra, avait reçu de Vyasadéva la bénédiction d’avoir cent fils. Ainsi fut-elle à son tour enceinte, et ce, pendant deux ans. Lorsqu’elle apprit que Kounti avait eu un enfant dont la splendeur égalait celle du soleil, elle entra dans une vive colère et se frappa violemment le ventre. Elle accoucha aussitôt d’une boule de chair, dure comme le fer.

Elle s’apprêtait à jeter cette masse inerte quand Vyasadéva apparut sur les lieux. Sans détour, elle l’interpella en ces termes:

— Quand j’ai su que Kounti avait eu un enfant aussi radieux que l’astre du jour, je me suis frappé le ventre. Tu m’as promis que j’aurais cent fils, et voilà que je donne naissance à une boule de chair!

— Ô fille de Soubala, lui répondit le sage, sache que je ne t’ai pas induit en erreur. J’ai toujours dit la vérité, même en plaisantant. Que l’on m’apporte immédiatement cent pots remplis de beurre clarifié. Entre-temps, asperge d’eau fraîche cette boule de chair.

En absorbant l’eau, la boule se fragmenta peu à peu en cent parties, chacune de la grosseur d’un pouce. On plaça chacune d’elles dans les pots demandés par Vyasadéva pour ensuite les couvrir. Le sage promit à Gandhari que de chacun des pots naîtrait un enfant, puis il repartit vers l’Himalaya.



Triste présage

Le premier enfant à naître de ces pots fut appelé Duryodhana. Il n’était pas sitôt né qu’il se mit à braire comme un âne, et les vautours, les chacals et les corbeaux lui firent écho en lançant leurs propres cris. Des vents violents se levèrent, pendant qu’un peu partout des feux s’allumaient.

Après la naissance de Duryodhana – le même jour que Bhima –, Dhritarashtra fit appel à Bhishma et Vidoura, ainsi qu’à tous les brahmanas de la maison des Kourous, pour leur faire part de ses craintes:

Youdhishthira est l’aîné des princes de la dynastie. C’est donc lui qui deviendra le prochain roi. Qu’adviendra-t-il alors de mon premier fils? Comment pourrait-il aussi devenir roi?

Aussitôt prononcées ces paroles, des ânes, des corbeaux et des chacals hurlèrent de terreur. Vidoura dit alors au roi, son frère:

— Ô Dhritarashtra, des signes de mauvais augure entourent la naissance de cet enfant. Il est évident qu’il causera l’anéantissement de notre dynastie. Si tu l’abandonnes maintenant, ta prospérité est assurée; sinon, la famille s’éteindra. Tu as quatre-vingt-dix-neuf autres fils; débarrasse-toi de celui-ci pour le plus grand bien de l’humanité.

Les brahmanas signifièrent leur approbation à la suggestion de Vidoura, mais Dhritarashtra ne parvint pas à se défaire de l’enfant.

En l’espace d’un mois, les cent pots de beurre clarifié eurent chacun produit un enfant. Généreux, Vyasadéva fit don d’un autre pot, duquel naquit une fille appelée Dushala. Il y avait aussi au palais une femme dévouée au roi qui lui donna à son tour un enfant, celui-là nommé Youyoutsou, «doté d’une grande intelligence». Dhritarashtra, eut donc cent un fils et une fille, qui tous devinrent des héros.



Un moment d’oubli

Un jour, après la naissance des Pandavas et des descendants de Dhritarashtra, Pandou alla se promener dans la forêt en compagnie de Madri, sa deuxième épouse. C’était le printemps. Le vent transportait le parfum des fleurs, les oiseaux chantaient et les abeilles bourdonnaient.

Pandou enflammé de désir pour Madri

Inspiré par la douceur de l’atmosphère ambiante, le roi sentit monter en lui un attrait irrésistible pour sa compagne. Oubliant la malédiction jadis prononcée contre lui, il étreignit Madri, qui tenta bien de résister à ses avances, mais en vain. Sous le coup de la passion et du destin, le roi mit un terme à sa vie en tentant de s’unir à son épouse.

Madri fondit en larmes sur le cadavre de Pandou. Elle appela alors Kounti à grands cris, qui se pressa sur les lieux. En voyant le roi immobile, Kounti s’affaissa et se mit elle aussi à pleurer, tout en blâmant Madri, dans sa tristesse, pour ne pas s’être refusée à leur époux.

Madri lui raconta ce qui était arrivé, et comment elle avait tenté de se soustraire aux caresses de Pandou. Kounti lui dit alors:

— Je suis l’aînée de ses épouses; je dois donc me livrer au rite de sati, et monter sur le bûcher avec lui. De ton côté, occupe-toi des enfants et vois à leur éducation.

Mais Madri s’objecta aussitôt:

— C’est moi qui doit accompagner notre époux dans les flammes. Je suis celle qu’il désirait avant de mourir, et il est monté vers les régions célestes avant de pouvoir combler son désir. Je vais donc l’accompagner jusqu’à la demeure de Yamaraja afin que son vœu soit exaucé. Si je continue à vivre, je n’aurai pas la force d’élever tes enfants au même titre que les miens. Mais toi, ô Kounti, tu sauras élever mes enfants comme s’ils étaient les tiens. Par conséquent, que mon corps brûle avec celui de Pandou!

Kounti accepta la proposition de Madri, bien qu’à contrecœur. Baignées de larmes, les deux femmes préparèrent le bûcher et y déposèrent le corps de Pandou. Madri entra dans les flammes et atteignit la même destination que son époux.

L’épopée du Mahabharata – Épisode 8