

La série consacrée à l’épopée du Mahabharata racontée par Normand Vanasse se poursuit…
Voir l’épisode précédent.
Mise à l’épreuve
Un jour que les Pandavas chassaient dans la forêt, la soif vint à s’emparer d’eux. Youdhishthira demande alors à Nakoula d’aller chercher de l’eau dans un lac avoisinant. Arrivé près d’un lac aux eaux claires et parsemées de fleurs de lotus, Nakoula se penche pour boire avant de remplir son outre, mais voilà qu’il entend une voix venue du ciel:
— Arrête, mon enfant. Ce lac m’appartient, et tu ne pourras en boire l’eau qu’après avoir répondu à mes questions.
Nakoula feint de ne rien entendre, mais dès qu’il porte l’eau du lac à ses lèvres, il tombe raide mort.
Quelque temps après, Youdhishthira s’inquiète de ne pas voir revenir Nakoula, et il envoie Sahadéva à sa recherche. Ce dernier découvre alors son frère mort sur la berge du lac et s’en trouve profondément attristé. Alors qu’il s’apprête à se désaltérer avant de retourner auprès de ses frères pour leur annoncer la nouvelle, une voix venue du ciel se fait entendre:
— Ne bois pas de cette eau. Ce lac m’appartient. Si tu réponds à mes questions, je te laisserai toutefois en boire à satiété.
Faisant fi de cette étrange voix, Sahadéva boit et s’effondre à son tour.
Doublement inquiet, Youdhishthira envoie Arjuna à la recherche de ses deux jeunes frères. En proie à une affliction sans borne à la vue des cadavres de Nakoula et Sahadéva, Arjuna cherche partout autour qui a bien pu tuer ses deux frères, mais il ne trouve ni homme ni bête. En s’approchant du lac pour se rafraîchir, il entend la même voix que les autres avant lui:
— Ne t’approche pas davantage, ô Arjuna; il t’est interdit de boire de cette eau. Mais si tu réponds à mes questions, tu pourras en boire autant que tu le désires.
Rempli de colère, Arjuna lance ses armes dans toutes les directions, ne sachant où frapper pour faire taire cette voix qui reprend aussitôt:
— Pourquoi ne pas simplement répondre à mes questions? Tu pourras ensuite boire à ta guise.
Tout comme ses frères, Arjuna décide d’ignorer ce qu’il entend, et tout comme eux, dès que ses lèvres se posent sur l’eau, il s’affaisse, sans vie.
L’absence indûment prolongée de Nakoula, Sahadéva et Arjuna lui étant insupportable, Youdhishthira dit à Bhima:
— Nos frères sont partis depuis déjà trop longtemps. Va donc voir, je t’en prie, ce qui peut bien les retenir de la sorte.
Bhima s’enfonce dans la forêt, finit par atteindre le lac, aperçoit ses trois frères gisant au sol, et jure de tuer quiconque a osé enlever la vie à ceux qu’il aimait tant. Voulant à son tour étancher sa soif avant de repartir, il entend la mystérieuse voix lui dire:
— Tu ne pourras boire de cette eau, ô Bhima, qu’après avoir répondu à mes questions, car ce lac m’appartient.
Sans prêter la moindre attention à cette voix sortie de nulle part, Bhima subit instantanément le même sort que ses frères.
N’y tenant plus, Youdhishthira entreprend de partir lui-même à la recherche de ses frères. Dévasté à la vue de ce qui l’attend en bordure du lac, il se demande ce qui a bien pu arriver. Ne constatant aucune trace de lutte au sol ou sur le corps de ses frères, il en conclut que seul Yamaraja, le justicier suprême, prince de la mort, est capable d’une telle chose, car les Pandavas sont invincibles.
Absorbé dans ses pensées, il s’avance vers le lac pour s’y abreuver, mais la voix se fait de nouveau entendre:
— Ce lac m’appartient. Tes frères sont morts car ils n’ont pas suivi mon conseil. Si tu réponds à mes questions, je te permettrai de boire l’eau de ce lac.
Réponse salvatrice
Au même instant, un Yaksha (esprit de la nature) apparaît devant Youdhishthira pour lui poser une série de questions philosophiques, et Youdhishthira se plie noblement à l’exercice.
Artiste Sadik – India Office Library
De questions en réponses, le Yaksha finit par demander à l’aîné des Pandavas:
— Quelle est la chose la plus extraordinaire en ce monde?
— La chose la plus étonnante qui soit, répond Youdhishthira, c’est que la mort frappe quotidiennement un nombre incalculable de créatures. En temps et lieu, ni homme ni bête n’y échappe. Et pourtant, les vivants continuent d’agir comme s’ils étaient immortels.
Satisfait des réponses et de l’attitude de Maharaja Youdhishthira, le Yaksha lui offre de ramener un de ses frères à la vie. Ne pouvant en choisir qu’un, Youdhishthira jette son dévolu sur Nakoula. Le Yaksha lui dit alors:
— Tu aurais pu choisir Arjuna, ou Bhima; pourquoi Nakoula?
— Mon père avait deux épouses, Kounti et Madri, que je vois d’un œil égal. C’est pourquoi Nakoula, fils de la seconde, doit survivre.
— Compte tenu de ta grandeur d’âme, je ramènerai tes quatre frères à la vie.
À ces mots du Yaksha, voilà que les quatre jeunes Pandavas reprennent vie, bien reposés et affranchis de la faim et de la soif. Youdhishthira dit alors au Yaksha:
— Même cent mille guerriers ne pourraient venir à bout de mes frères. Comment leur as-tu ôté la vie? Serais-tu mon père, le grand Yamaraja?
C’est alors que le Yaksha se révéla sous son vrai jour, en tant que Yamaraja.
— Je le suis, répond le seigneur de la justice. Sache que je suis venu ici à seule fin de t’éprouver et de te bénir. La vertu t’habite, et tu m’es très cher. Demande-moi maintenant tout ce que tu voudras.
— Nous venons de passer douze années dans la forêt. Il reste une autre année à notre exil, au cours de laquelle nous devrons vivre incognito. Accorde-nous de ne pas être repérés durant cette période.
Yamaraja accorda cette bénédiction à son fils et lui en offrit une deuxième. Youdhishthira lui demanda donc:
— J’aimerais conquérir la concupiscence, la colère et l’avidité, et j’aimerais que mon mental s’absorbe constamment en des pensées de dévotion à l’endroit du Seigneur des seigneurs.
— Ô mon fils, tu possèdes déjà toutes ces qualités depuis ta naissance. Nul besoin de t’en bénir à nouveau.
Sur ces mots, Yamaraja disparut et les Pandavas s’en retournèrent à leur ermitage.
À suivre…