La série consacrée à l’épopée du Mahabharata racontée par Normand Vanasse se poursuit…
Voir l’épisode précédent.
Dans l’oreille d’un sourd
En apprenant que le grand sage Maitreya est arrivé au palais après avoir rencontré les Pandavas dans la forêt, Dhritarashtra le reçoit avec déférence et s’enquiert de ses neveux.
— J’ai bien croisé les Pandavas au cours de mes pèlerinages, dit Maitreya, mais j’ai été surpris de voir le roi Youdhishthira vêtu d’une peau de daim, les cheveux épars. Et encore plus surpris d’apprendre la tournure de cette partie de dés. Comment cela a-t-il pu se produire en ta présence et celle de Bhishma? Cette perfidie t’a fait perdre ta réputation.
Puis, se tournant vers Duryodhana, le sage lui dit:
— Ô prince aux bras puissants, écoute-moi bien. Ne cherche pas à te quereller avec les Pandavas. Ils sont tous de grands héros sur le champ de bataille. As-tu oublié que Bhima, il n’y a pas si longtemps, a tué le puissant Jarasandha, qui avait la force de dix mille éléphants? Ou qu’il a mis à mort Hidimba et Baka, deux puissants Rakshasas, avant de terrasser le redoutable Kirmira. Les Pandavas sont de proches parents du Seigneur Krishna, et ils se sont ralliés le roi Droupada et ses troupes. Ne crois pas un instant que tu sortirais vainqueur d’un combat avec eux. Il vaudrait mieux pour toi de te faire l’ami des Pandavas, pour ainsi vivre en paix dans ton royaume.
Voyant que Duryodhana ne l’écoute que distraitement en souriant, en grattant le sol de son pied et en se tapotant les cuisses, Maitreya décide de le maudire pour rabattre son arrogance. Les yeux rouges de colère, il lui lance:
— Puisque tu n’as que faire de mes conseils, tu en subiras les conséquences. Dans la grande bataille qui aura lieu après le retour d’exil des Pandavas, sois assuré que Bhima remplira sa promesse: d’un seul coup de sa masse puissante, il te brisera les cuisses.
Dhritarashtra tente alors d’amadouer le sage, mais il est trop tard. Maitreya reprend:
— Si tu fais la paix avec les Pandavas, la malédiction que j’ai prononcée contre toi sera du même coup neutralisée. Sinon, les événements suivront leur cours tel que je les ai prédits.
Maitreya quitta alors les lieux.
Krishna retrouve les Pandavas
Pendant ce temps, Krishna apprend ce qui est arrivé aux Pandavas, et il se rend dans la forêt de Kamyaka en compagnie de Dhrishtadyoumna, le fils du roi Droupada, et de Dhrishtakétou, le fils de Shishoupala, roi de Chédi. Le Seigneur promet d’emblée aux Pandavas de les assister au cours de la grande bataille qui aura lieu après leur exil. Il leur explique en outre que le démoniaque Shalva a attaqué la ville de Dvaraka pendant la célébration du sacrifice rajasouya, et que c’est la raison pour laquelle il n’a pu venir à leur secours en temps et lieu.
Krishna adresse ensuite de douces et réconfortantes paroles à Draupadi, qui le louange en retour comme le Seigneur des seigneurs:
— Ô Krishna, les grands sages tels Dévala et Asita affirment que tu es la Cause de toutes les causes, ainsi que le Créateur de ce monde manifesté. Le sage Jamadagni déclare que tu es à l’origine de tous les avatars et la source des trois Vishnou. On te dit aussi le Maître de tous les dévas, incluant Shiva et Brahma. Les trois mondes sont en toi, et l’univers entier représente ton corps. Les sages et les brahmanas ne méditent que sur toi. Ô Seigneur, nous sommes tes dévots et nous dépendons de ta protection.
Ces crapules, au palais d’Hastinapoura, m’ont traînée au milieu de leur assemblée et m’ont humiliée. Dushasana, ce scélérat, a touché ma chevelure sanctifiée et a tenté de me déshabiller. Nul ne pouvait m’aider, ni mes époux ni les anciens de l’assemblée. Seule ta miséricorde immotivée, ô Seigneur, a permis que me soit épargnée pareille disgrâce. En me rappelant tes pieds pareils au lotus, j’ai été sauvée de ce péril. Tu es le seul refuge en ce monde hostile et dangereux. Tu es le seul à pouvoir protéger qui que ce soit. Ô Krishna, voilà que nous vivons à nouveau une douloureuse épreuve pour avoir été exilés dans la forêt. Protège-nous, je t’en supplie.
Après cet épanchement empreint de dévotion, Draupadi fondit en larmes, mais Krishna, qui tout naturellement déborde d’affection pour ses dévots, essuya ses yeux de sa main pareille au lotus pour ensuite la réconforter en ces termes:
— Ô chaste femme, les épouses de ceux qui t’ont humiliée verseront aussi des larmes. Tu verras bientôt tous ces hommes cloués au sol par les flèches d’Arjuna. Sèche tes pleurs, princesse. Tu verras bientôt Youdhishthira couronné roi, et les criminels punis. Tu redeviendras la reine de tes rois. Le ciel peut tomber, les montagnes se fendre ou l’océan se dessécher, les paroles que je viens de prononcer ne s’en accompliront pas moins.