La série consacrée à l’épopée du Mahabharata racontée par Normand Vanasse se poursuit…
Voir l’épisode précédent.
Départ difficile
Après avoir quitté la ville d’Hastinapoura, les Pandavas partirent vers le nord et rejoignirent les rives du Gange. Plusieurs citoyens les suivaient, ne pouvant envisager de vivre en l’absence de ces saints dirigeants, surtout pas dans un royaume administré par Duryodhana et ses hommes.
Le roi Youdhishthira savait très bien que ses sujets ne pouvaient le suivre, lui et ses frères, dans leur exil. Plein de compassion pour eux, il leur adressa la parole:
— Chers citoyens, l’affection que vous nous portez restera toujours en nos cœurs. Nous songeons constamment à votre bien-être. Nous avons aujourd’hui quelque chose à vous demander, et espérons que vous acquiescerez à notre requête. Notre absence causera une grande affliction à nos proches. Bhishma, Drona, ma mère et plusieurs autres sont maintenant en proie à un vif sentiment de séparation, et ils ont besoin de réconfort. C’est pourquoi nous vous prions de retourner à Hastinapoura et de vous occuper d’eux, ainsi que de vos familles respectives. Si vous tenez absolument à nous faire plaisir, menez à bien ces instructions, et nous aurons l’âme en paix pendant notre long séjour dans la forêt.
Les citoyens ne voulaient pas quitter le roi Youdhishthira, mais par amour pour lui, ils firent ce qu’il leur avait demandé. Les larmes aux yeux, ils rebroussèrent chemin pour retourner à Hastinapoura. Les brahmanas, cependant, n’étaient pas convaincus qu’il leur faille aussi se retirer. Ils passèrent donc la nuit en compagnie des Pandavas, sur les rives du Gange.
Youdhishthira savait qu’il lui serait impossible de pourvoir aux besoins des brahmanas de façon satisfaisante pendant toutes ces années d’exil. Aussi leur dit-il:
— On a usurpé notre royaume. Plus rien maintenant ne nous appartient. Nous allons désormais vivre dans la forêt, et il nous faudra mendier notre nourriture. Cette forêt, par surcroît, est dangereuse. Moi et mes frères sommes attristés par la perte de notre royaume, et en plus, notre épouse Draupadi a été humiliée. Je ne suis pas sûr de pouvoir assurer votre subsistance durant notre exil.
— Tu n’as pas à t’en faire, ô roi, lui répondirent les brahmanas. Nous trouverons nous-mêmes notre nourriture. Il nous est impossible de vivre sans toi, car tu es la vertu personnifiée. Notre désir est de t’assister de notre mieux.
— Vous avez sans doute raison. J’aime vivre en compagnie de sages comme vous tous. Cependant, vous ne méritez pas de vivre dans l’indigence. Il me sera pénible de vous voir chercher votre subsistance dans la forêt. Malheur aux fils de Dhritarashtra!
Une solution inespérée
Puis, après mûre réflexion, Youdhishthira alla trouver Dhaumya, son guide spirituel, et lui dit:
— Par affection pour nous, ces brahmanas nous ont suivis dans la forêt. À l’heure actuelle, le malheur s’est abattu sur nous. Je suis donc incapable de subvenir à leurs besoins. Dis-moi, ô saint homme, la conduite que je dois adopter envers eux?
— Vivasvan, le déva du soleil, engendre et soutient les grains, les céréales et la vitalité même sur Terre. Si tu t’en remets à lui, il saura t’aider.
Suivant le conseil de Dhaumya, le roi Youdhishthira entreprit de méditer sur le déva du soleil en s’abstenant de boire et de manger. Il s’avança dans les eaux du Gange, à demi submergé, et lui adressa des prières, ne subsistant que de l’air ambiant. Vivasvan fut bientôt satisfait du roi Youdhishthira et apparut devant lui.
— Ô roi Youdhishthira, tes moindres désirs seront comblés. Je pourvoirai à tes besoins nutritifs pendant ton exil. Voici une marmite en cuivre. Toute quantité de nourriture qui y sera cuisinée – fruits, légumes, produits laitiers, grains – restera inépuisable tant que Draupadi n’aura pas mangé sa part. Cette marmite te fournira toute la nourriture dont tu auras besoin au cours des douze années de ton exil avec tes frères et votre épouse.
Sur ces mots, Vivasvan disparut.
Youdhishthira sortit de l’eau, toucha les pieds de Dhaumya en signe d’humilité et de respect, et étreignit ses frères. Puis il alla trouver Draupadi pour lui faire part des pouvoirs surnaturels de la marmite en cuivre que lui avait donnée Vivasvan, le déva du soleil. Ce soir-là, Youdhishthira prépara lui-même le repas, et avec très peu de nourriture, il put satisfaire tous les brahmanas qui l’accompagnaient. Il y en eut également assez pour satisfaire le vorace Bhima, ses autres frères et lui-même. Enfin, après que ses époux eurent mangé, Draupadi prit son repas, et la marmite fut complètement vide.