La série consacrée à l’épopée du Mahabharata racontée par Normand Vanasse se poursuit…
Voir l’épisode précédent.
Le fléau du jeu
Après que les fils de Pandou eurent regagné leur royaume, Dushasana alla trouver son frère Duryodhana et lui dit:
— Nous avions gagné le royaume, et les Pandavas étaient devenus nos esclaves, mais notre père est intervenu en leur faveur. Demandons aux Pandavas de jouer une autre partie de dés avant qu’ils nous attaquent.
Duryodhana, Shakouni et Karna, plus que jamais rongés par la convoitise, approchent alors Dhritarashtra avec en tête l’idée d’organiser une autre partie de dés. Assis respectueusement en face de son père, Duryodhana s’adresse à lui en ces termes:
— Les Pandavas sont maintenant comme des serpents venimeux et enragés. Il ne fait aucun doute qu’ils sont en train d’assembler leurs troupes dans le but de nous attaquer. En quittant Hastinapoura, Arjuna, son arc à la main, respirait lourdement et regardait dans toutes les directions. Bhima, quant à lui, faisait tournoyer sa masse. Nakoula brandissait son épée, tandis que Sahadéva et Youdhishthira fumaient d’une colère semblable à celle de Yamaraja, le prince de la mort.
Jamais ils n’oublieront la façon dont nous les avons traités. Nul d’entre eux ne pourra oublier l’insulte faite à Draupadi. Par conséquent, avant qu’ils n’aient rallié leurs forces, invitons-les à jouer une autre partie de dés. Les perdants devront vivre dans la forêt pendant douze années, et la treizième devra être passée incognito. Si, au cours de la treizième année, leur identité est découverte, ils devront retourner dans la forêt pour y passer douze années de plus.
Ce sera nous, ou les Pandavas. Bien entendu, Shakouni lancera les dés et gagnera la partie pour nous, et quand les Pandavas seront dans la forêt, nous pourrons nous attirer le respect des citoyens et des souverains de ce monde. Ô roi, tel est le plan que nous te soumettons aujourd’hui.
Rien n’y fait
À ces mots, le roi Dhritarashtra, sous l’influence du temps qui tout dévore, accepta la proposition.
— Que l’on demande aux Pandavas de revenir ici afin de miser leur royaume dans une autre partie de dés.
D’autres, cependant, n’approuvaient pas ce stratagème. Parmi eux se trouvaient Bhishma, Drona, Somadatta, Vidoura, Bhurishrava et Vikarna. Ils dirent:
— Ô roi, ne donne pas ton accord à ce plan mesquin. Que règne la paix entre tes fils et ceux de Pandou.
Dhritarashtra ne prêta néanmoins aucune attention aux paroles de ces sages guerriers, mais lança plutôt aux fils de Pandou une invitation à venir jouer aux dés dans son palais. C’est alors que Gandhari adressa la parole à Dhritarashtra, son époux.
— Lorsque Duryodhana vit le jour, Vidoura te conseilla d’éliminer cet enfant au lieu de le laisser vivre, car il serait à l’origine de la destruction de toute la dynastie des Kourous. Notre fils, en naissant, criait comme un chacal. Il n’est pas trop tard pour s’en débarrasser. Sinon, la prospérité que tu obtiendras par voies illicites ne sera qu’éphémère.
— Si le temps est venu pour que soit détruite notre dynastie, répondit Dhritarashtra, alors qu’il en soit ainsi. Le destin n’est pas entre mes mains. Bien au contraire, le destin règne en maître et j’y suis soumis. Que les Pandavas reviennent ici jouer aux dés avec mes fils.
Le destin à l’œuvre
Sans plus attendre, un messager se rendit à Indraprastha pour y transmettre aux Pandavas l’invitation du roi aveugle. Youdhishthira fut incapable de refuser. Lui et ses frères se préparèrent à revenir à Hastinapoura, connaissant déjà le résultat de la partie de dés qu’on les forçait à jouer.
Dans la salle d’assemblée, Shakouni prit la parole:
— Le roi vous a redonné vos biens, et cela est parfait. Cette fois, cependant, l’enjeu sera le suivant: nous ne lancerons les dés qu’une seule fois, et le gagnant verra ses adversaires prendre la direction de la forêt pour y vivre pendant douze années. Durant l’année qui suivra, ils devront vivre incognito, et si leur présence est découverte au cours de cette année, ils devront retourner dans la forêt pour y passer douze années supplémentaires. Ô Youdhishthira, c’est avec cet enjeu en tête que nous jouerons aux dés.
Sachant que la fin des Kourous était proche, Youdhishthira accepta la proposition en disant:
— Ô Shakouni, comment un roi tel que moi-même refuserait-il de jouer une partie de dés! Que le jeu commence!
Ils lancèrent les dés, et, sans surprise, Shakouni s’exclama: «J’ai gagné!»