La série consacrée à l’épopée du Mahabharata racontée par Normand Vanasse se poursuit…
Voir l’épisode précédent.
Les Pandavas scellent le sort des Kourous
Après l’intervention de Krishna pour empêcher Dushasana de dénuder Draupadi, celle-ci réitère une dernière fois la question de savoir si elle est ou non désormais une servante, mais Bhishma, l’ancien, se dit une fois de plus incapable d’y répondre.
Duryodhana s’adresse alors à Draupadi:
— La réponse à ta question est entre les mains de tes époux. Qu’ils disent à cette assemblée respectable si oui ou non Youdhishthira est leur maître.
Bhima s’adresse aussitôt aux rois de la Terre assemblés en ces lieux:
— Si notre frère aîné, ce grand monarque, n’était pas notre maître, nous n’aurions jamais pardonné cette offense aux Kourous. Si Youdhishthira affirme qu’il a été gagné au jeu, alors nous aussi l’avons été. Sinon, j’aurais déjà réduit en miettes celui qui a osé poser sa main sur les cheveux de la reine Draupadi. Ce n’est que par respect pour mon frère aîné que je retiens ma colère, et aussi parce qu’Arjuna me l’a demandé. Toutefois, si Youdhishthira m’en donnait l’ordre, je tuerais sur-le-champ tous les fils de Dhritarashtra.
Duryodhana s’empresse de ridiculiser ces propos, et tout en riant, il dit à Youdhishthira:
— Ô roi, tes frères et Draupadi attendent ta réponse à cette question. Dis-nous donc si Draupadi est ma servante ou si elle est encore ton épouse.
Voyant que nulle réponse ne vient, il se tourne vers Draupadi:
— Je répondrai moi-même à ta question: tu es libre! Tu peux maintenant choisir un époux parmi les rois ici assemblés.
Le sort en est jeté
Duryodhana se met alors à rire aux éclats, et voyant que Bhima le regarde, il découvre ses cuisses devant Draupadi. Bhima est pris d’une colère si intense qu’il pourrait détruire l’univers entier. Il ouvre grand ses yeux rouges et dit à l’assemblée:
— Je jure de briser les cuisses de ce vil Duryodhana.
Karna se moque de lui et redit à Dushasana:
— C’en est assez. Emmène Draupadi dans les appartements des servantes.
Mais Bhima renchérit devant cette assemblée dont même les anciens n’osent ouvrir la bouche:
— Je vais tuer cette crapule de Duryodhana. Mon frère Arjuna tuera Karna, et Shakouni, le tricheur, périra aux mains de mon frère Sahadéva. J’en fais la promesse.
Arjuna prend à son tour la parole:
— Ô Bhima, ceux qui vivent en sécurité dans leur maison ne soupçonnent pas le danger qui les attend à l’extérieur. Tes paroles se réaliseront. La terre boira le sang de ces quatre scélérats: Duryodhana, Dushasana, Shakouni et Karna. Il n’y a aucun doute à cela. Je confirme que je vais tuer Karna et tous ceux qui sont assez stupides pour le suivre. L’Himalaya pourra bouger, le soleil changer d’orbite et la lune perdre sa fraîcheur, rien ne me fera renoncer à ma promesse tant et aussi longtemps qu’elle ne sera pas accomplie.
Puis c’est le tour de Sahadéva:
— Shakouni, tu es le plus bas d’entre les hommes. Pour avoir triché aux dés, je jure que je vous tuerai, toi et tes proches. J’espère que sur le champ de bataille, tu feras preuve d’autant d’ardeur que tu en as déployé au cours de la partie de dés.
Lorsque les Pandavas se furent ainsi exprimés, un chacal lâcha un long hurlement dans la salle d’assemblée du palais de Dhritarashtra, et des ânes lui répondirent de leurs braiments. Tous les anciens présents y virent l’annonce du malheur qui allait s’abattre sur les Kourous.
Dhritarashtra se ravise
Trop tard, hélas, le roi Dhritarashtra prend conscience de la gravité de la situation. S’adressant à son fils Duryodhana, il lui dit:
— Ton cœur est malsain, et ta fin est proche. Tu as humilié l’épouse des Pandavas; je ne vois plus aucun espoir pour toi.
Puis il se tourne vers Draupadi dans l’espoir de la consoler et de sauver les siens:
— Ô princesse de Pañcala, demande-moi tout ce que tu voudras, et je te l’accorderai.
Draupadi lui répond:
— Je veux que Youdhishthira, mon époux, soit affranchi de l’esclavage.
Dhritarashtra le lui accorde, et lui demande si elle désire autre chose.
— Je veux que mes époux Bhima, Arjuna, Nakoula et Sahadéva soient aussi libérés, et qu’on leur redonne le royaume qui leur appartient.
Dhritarashtra le lui accorde et s’offre à exaucer tout autre vœu qu’elle pourrait avoir.
Draupadi lui répond cependant:
— Je ne te demanderai pas une troisième faveur. Il est dit qu’un brahmana peut demander une centaine de bénédictions, mais un vaishya une seule, et un kshatriya deux. Maintenant que mes époux sont libres, ils gagneront la prospérité par leurs propres moyens.
Karna se mit à rire, et dit à l’assemblée:
— Les Pandavas se noyaient dans l’océan, mais tel un grand navire, Draupadi les a secourus. Grande est leur fortune d’avoir ainsi été sauvés par une femme.
Ne prêtant aucune attention aux paroles de Karna, Youdhishthira, les mains jointes, s’approche de Dhritarashtra et lui dit:
— Ô roi, tu es notre maître. Dis-nous maintenant ce que nous devons faire. Notre désir est de toujours demeurer soumis à ta personne.
Et Dhritarashtra de répondre:
— Ô Youdhishthira, toi qui n’as aucun ennemi, sois béni. Retourne dans ton royaume pour y vivre paisiblement, et emporte avec toi toutes tes richesses. J’ai été conquis par ta douceur et ton humilité. L’intelligence engendre la tolérance. Les meilleurs d’entre les hommes ne nourrissent pas de rancune envers leurs ennemis. Ils voient leurs mérites, et non leurs fautes. Mon enfant, ne garde pas en mémoire les propos outrageants de mon fils Duryodhana. Si j’ai consenti à ce qu’ait lieu cette partie de dés, c’était pour examiner les faiblesses de mes fils et pour voir qui étaient vraiment mes amis. Retourne maintenant à Indraprastha avec Draupadi et tes frères, et que la fraternité règne entre toi et mes fils.