La série consacrée à l’épopée du Mahabharata racontée par Normand Vanasse se poursuit…
Voir l’épisode précédent.
Duryodhana dépité
Lorsque Duryodhana réalisa à quel point l’accomplissement du rajasouya – le fabuleux sacrifice – avait rendu célèbre Maharaja Youdhishthira et l’avait comblé de satisfaction à tous les égards, sa nature envenimée alluma en lui le feu de l’envie. Déjà, le palais impérial excitait en lui la plus vive jalousie, car ce palais, érigé par l’Asura Maya Danava pour le compte des Pandavas, brillait par l’excellence de sa construction, fruit d’un art de la plus haute complexité. Il était digne des plus grands princes, rois et seigneurs. Y vivaient paisiblement les Pandavas en compagnie des membres de leur famille et de la reine Draupadi. Et puisqu’en ces jours Krishna y résidait également, le palais s’ornait aussi de ses milliers de reines.
Pour plus de détails sur ce présent de Maya Danava aux Pandavas, voir l’épisode 31.
Lorsque les épouses de Krishna se déplaçaient dans le palais, les clochettes pendant à leurs chevilles tintant mélodieusement au rythme de leurs mouvements, l’édifice tout entier semblait plus opulent encore que les sphères édéniques. Une partie de leur poitrine étant enduite de poudre de safran, les colliers de perles qui y tombaient s’en trouvaient teintés de rouge. La délicatesse et la richesse de leurs pendants d’oreilles contre leur abondante chevelure conférait en outre aux reines une beauté sans pareille.
À la vue, donc, du palais du roi Youdhishthira et de toutes les merveilles qui le rehaussaient, Duryodhana brûlait d’envie. Une envie par ailleurs accrue par la beauté de Draupadi, pour qui il éprouvait une irrépressible attraction depuis les premiers jours de son union avec les Pandavas. Comme tant d’autres princes tout aussi fascinés que lui par la beauté de Draupadi, Duryodhana avait pris part à la cérémonie du choix de son époux, mais n’avait pu gagner sa faveur.
Un jour, le roi Youdhishthira se trouvait assis sur le trône d’or du palais construit par Maya Danava, entouré de ses quatre frères, d’autres parents et de Krishna, son plus grand bienfaiteur. Tandis qu’ils baignaient dans l’opulence des lieux et profitaient des récits que leur offraient des conteurs sous forme de chants mélodieux, voilà que Duryodhana arriva au palais.
Un trompe-l’œil sournois
Maya Danava avait conçu le palais de manière à ce que le sol cristallin ait parfois l’apparence d’une pièce d’eau et que certains bassins donnent l’illusion de faire partie du sol ferme. Aveuglé par l’envie et la colère, Duryodhana se fit prendre à ce jeu trompeur et tomba bêtement dans l’eau alors qu’il se croyait sur du solide. Furieux, il invectiva aussitôt violemment les portiers comme pour les blâmer de sa méprise. Les reines se mirent aussitôt à rire, amusées par l’incident. Le roi Youdhishthira tenta bien de les en empêcher pour ne pas davantage irriter Duryodhana, mais Krishna lui signifia qu’il ne devait pas les priver de ce plaisir.
À leurs rires, Duryodhana se sentit profondément insulté, et de rage, ses poils se dressèrent sur son corps. Outragé, il quitta le palais sans délai, la tête basse et sans mot dire. Après coup, les personnes présentes regrettèrent l’incident, et le roi Youdhishthira s’en montra personnellement fort désolé. Krishna, lui, demeura silencieux; il ne s’était pas opposé à l’humiliation de Duryodhana, conscient que d’elle naîtrait la virulente hostilité qui allait par la suite opposer les deux clans de la dynastie Kourou. De fait, cet incident en apparence anodin s’inscrivait précisément dans le plan de Krishna en vue d’accomplir sa mission d’alléger le fardeau du monde.