La série consacrée à l’épopée du Mahabharata racontée par Normand Vanasse se poursuit…
Voir l’épisode précédent.
Une requête désespérée
Le divin Krishna, Seigneur des seigneurs, vivait à Dvaraka en compagnie de ses 16 108 reines. Il avait fait construire un palais pour chacune d’elles, et chacune d’elles avait le sentiment que Krishna vivait avec elle seulement. À l’heure où Krishna achevait d’accomplir ses tâches quotidiennes, arrivait Daruka, le conducteur de son char, et le Seigneur quittait le palais, rayonnant de splendeur comme le soleil inondant l’aube de sa lumière. Chacune des reines buvait du regard ses moindres gestes, et Krishna leur répondait par des sourires qui faisaient naître en elles un dévorant sentiment de séparation.
Après avoir pris congé de ses 16 108 reines dans ses 16 108 palais, Krishna redevenait Un et se rendait en procession, entouré d’autres membres de la dynastie Yadou, au palais d’assemblée connu sous le nom de Sudharma, ledit palais ayant été subtilisé au royaume édénique pour être relocalisé dans la ville de Dvaraka. Merveille s’il en est, puisque quiconque y entrait se voyait aussitôt affranchi des six formes de souffrance que sont la faim, la soif, l’affliction, l’illusion, la vieillesse et la mort, et ce, tant et aussi longtemps qu’il y restait.
Krishna prenait alors place sur le trône royal en présence de tous les héros de la dynastie Yadou. On aurait dit la pleine lune perçant les ténèbres de la nuit, entourée d’innombrables luminaires. Puis, bouffons, danseurs, danseuses et musiciens enchaînaient leurs numéros pour le plaisir du Seigneur et de l’assemblée. La verve des bouffons rafraîchissait l’humeur matinale et plaisait tout particulièrement au Seigneur et à ses compagnons. Danseurs et danseuses, clochettes aux pieds, déployaient ensuite leur art au son des vinas, des flûtes et d’instruments de percussion variés, tandis que des chantres virtuoses inspiraient de leurs voix les mouvements des artistes. Il arrivait aussi que des brahmanas érudits entonnent des hymnes védiques pour ensuite en expliquer la teneur à l’auditoire, ou que des panégyristes relatent les exploits de grands rois et des événements marquants des temps passés. Autant de divertissements auxquels le Seigneur et son entourage prenaient grand plaisir.
Vingt mille rois en détresse
Un inconnu se présenta un jour aux portes du palais d’assemblée, sollicitant une audience. Informé de sa présence, Krishna demanda qu’on dise aux gardes de le laisser entrer. Mains jointes, l’homme offrit humblement son hommage respectueux au Seigneur, puis se présenta comme le messager des rois retenus captifs par le puissant Jarasandha.
Les membres de l’assemblée n’étaient pas sans savoir que ce vil monarque cherchant à se rendre maître du monde avait conquis nombre de royaumes, si ce n’est que plus d’un souverain – vingt mille pour être exact – avait refusé de s’incliner devant lui, si bien qu’il les avait fait emprisonner. La venue de ce messager était toutefois inattendue.
S’adressant fébrilement à Krishna, l’envoyé lui dit:
— Mon cher Seigneur, toi le maître de tous les mondes, te voilà descendu sur Terre en personne afin, dit-on, de protéger les vertueux et d’anéantir les impies. Comment donc est-il possible que des mécréants tel Jarasandha puissent nous imposer, contre ton autorité suprême, des conditions d’existence aussi déplorables? Peut-être Jarasandha s’est-il vu mandater pour nous infliger de telles souffrances en raison d’actes coupables que nous aurions pu commettre par le passé, mais selon les Écritures, quiconque s’abandonne à tes pieds devient aussitôt immunisé contre les conséquences de ses fautes. Aussi tous les rois emprisonnés m’ont-ils dépêché auprès de toi pour s’offrir de plein cœur à ton refuge, dans l’espoir que ta grâce nous accorde désormais toute protection. Tous, sans exception, brûlent de te voir et de s’abandonner en personne à tes pieds pareils au lotus. Daigne, cher Seigneur, leur accorder ta miséricorde et faire en sorte qu’ils aient la fortune de retrouver la liberté.
À suivre…