La série consacrée à l’épopée du Mahabharata racontée par Normand Vanasse se poursuit…
Voir l’épisode précédent.
Un palais d’assemblée digne des dieux
Tout juste avant que la forêt de Khandava soit complètement anéantie, il en sortit un Asura du nom de Maya Danava. Krishna s’apprêta aussitôt à le tuer de son disque, mais le fuyard implora Arjuna de le protéger, ce à quoi ce dernier consentit, lui laissant ainsi la vie sauve.
Tandis que Krishna et Arjuna regagnaient leur campement sur les berges de la Yamouna, Maya Danava les rejoignit, se jeta à leurs pieds et leur dit:
— Vous m’avez sauvé la vie; je vous en suis infiniment reconnaissant. Je m’appelle Maya Danava, et je suis l’architecte des Asuras. Que pourrais-je faire pour vous témoigner ma gratitude?
— Jamais je ne demande quoi que ce soit en retour d’une bonne action, lui répondit Arjuna. Cependant, tu peux toujours offrir tes services à Krishna.
Le Seigneur Krishna réfléchit un instant, puis dit à Maya Danava:
— Les Pandavas sont mes amis; j’aimerais que tu leur construises un palais d’assemblée qui n’aura pas d’égal sur Terre.
L’architecte Maya Danava lui donna son accord, après quoi tous se rendirent à Hastinapoura.
Douloureux départ
De retour au palais, Arjuna fit part à Youdhishthira des événements de la journée et lui présenta Maya Danava. Krishna, pour Sa part, exprima le désir de retourner chez Lui, à Dvaraka. Les Pandavas étaient réticents à l’idée de le laisser partir, car il était leur guide et leur source d’inspiration. Krishna leur promit toutefois de revenir dès qu’ils en exprimeraient le désir.
Avant de partir, le divin Krishna salua sa tante Kounti, qui le serra dans ses bras avec affection. Il offrit ensuite des vœux de bonheur à sa propre sœur, Soubhadra, puis monta sur son char, dont Youdhishthira s’empressa de prendre les rênes tandis qu’Arjuna et Bhima prenaient place de chaque côté de lui pour l’éventer avec des queues de yak. Quant à Nakoula et Sahadéva, ils se placèrent derrière le Seigneur en tenant un parasol au-dessus de sa tête. Après avoir roulé sur une distance de quelques kilomètres, Krishna remercia les Pandavas et les pria de s’en retourner avant de poursuivre sa route. Les cinq frères n’arrivaient toutefois pas à détacher leur regard de son exquise beauté, si bien que leurs pensées accompagnèrent le Seigneur jusque dans sa capitale.
Un palais incomparable
Avant d’entreprendre la construction du palais d’assemblée, Maya Danava dit à Arjuna:
— J’ai caché des bijoux près du mont Kailasa, et non loin de là se trouve un lac dans lequel repose une masse ayant jadis appartenu au roi des Asuras. Sa force équivaut à celle de cent mille masses, et Bhima saura très bien s’en servir. Il s’y trouve aussi une conque, la Dévadatta, que tu pourras toi-même avantageusement utiliser. J’aimerais d’abord aller chercher ces précieux objets pour vous les offrir.
Chose dite, chose faite.
De retour à Indraprastha, Maya Danava se mit aussitôt à la tâche. La construction du palais d’assemblée dura quatorze mois. Les colonnes, en or massif, brillaient comme le soleil. Les murs étaient incrustés de milliers de pierres précieuses qui illuminaient l’intérieur du palais. S’y trouvaient aussi des bassins remplis de fleurs de lotus et autres, avec des pétales en or. Dans l’eau nageaient quantité de poissons et de tortues. L’eau était si limpide qu’on pouvait la méprendre pour le sol! Dedans comme dehors, des fleurs poussaient, en toutes saisons.
Quand fut achevée l’œuvre de l’architecte, Maharaja Youdhishthira organisa une grande fête où des milliers de brahmanas chantèrent des hymnes védiques, et où des milliers de vaches leur furent offertes en charité. Les rois et les sages de tous les pays vinrent admirer le fameux palais d’assemblée. Même les dévas se mirent de la partie. Plusieurs de ces princes demeurèrent quelque temps à Indraprastha, et en profitèrent pour apprendre d’Arjuna l’art du tir à l’arc. Ce fut une période d’abondance pour les Pandavas, mais c’était aussi le calme avant la tempête. Ils n’étaient en effet destinés à jouir de leur royaume que pendant quelques mois encore.
C’est néanmoins durant cette période que Soubhadra donna naissance à son fils Abhimanyu, dont les astrologues prédirent qu’il deviendrait un héros dans la dynastie des Kourous. Draupadi, de son côté, mit au monde cinq enfants. De Youdhishthira, elle eut Prativindhya. Le fils de Bhima s’appelait Shrutasena. Le fils d’Arjuna portait le nom de Shrutakirti. Shatanika était le fils de Nakoula, et Shrutakarma le fils de Sahadéva. Tous possédaient les mêmes qualités que leur père respectif et maîtrisaient les armes avec la même aisance.
Une visite ciblée
Un jour, le grand sage Narada vint rendre visite aux Pandavas. Après lui avoir lavé les pieds et offert des présents, ses hôtes lui firent visiter leur palais d’assemblée. Maharaja Youdhishthira demanda alors à Narada:
— Maître, toi qui a voyagé partout dans l’univers, parle-nous des différents lieux d’assemblée que tu as visités.
— Il est vrai que j’ai visité plusieurs palais d’assemblée dans l’univers, répondit Narada. Dans celui de Yamaraja, par exemple, se trouvaient plusieurs rois de la dynastie Kourou, dont Pandou et plusieurs autres. J’ai aussi vu les palais des dévas Varouna et Kouvéra. Mais à vrai dire, aucun d’eux n’égale les splendeurs et l’opulence de celui-ci.
— Tu as bien dit, n’est-ce pas, que plusieurs des anciens rois de ce monde se trouvaient maintenant à la cour de Yamaraja, et non à celle d’Indra, y compris mon propre père, Pandou, que je croyais pourtant bien être à la cour d’Indra. Mon père a toujours été d’une droiture exemplaire, un véritable saint parmi les monarques. Comment se fait-il qu’il ne soit pas maintenant dans la demeure d’Indra?
En vérité, la visite du sage Narada avait précisément pour but de dénouer ce dilemme au profit des Pandavas. Ainsi répondit-il à Youdhishthira:
— Seuls ceux qui ont accompli le grand sacrifice qu’on nomme le rajasouya peuvent prendre place aux côtés d’Indra. C’est pourquoi, lorsque j’ai rencontré ton père au palais de Yamaraja, il m’a dit: «Mes fils, sur Terre, sont devenus très puissants. Si Youdhishthira accomplit le rajasouya, je pourrai alors être transféré sur la planète d’Indra, et sa propre renommée augmentera sans limite.» Tel est donc le désir de ton père. Avec tes quatre frères et l’appui du Seigneur Krishna, il te sera facile de mener à bien ce glorieux sacrifice, et tu pourras par le fait même conquérir le monde entier. Cela te demandera beaucoup d’efforts, mais je sais que tu en es capable. Je m’engage d’ailleurs, en ton nom, à demander à Krishna de t’aider dans cette noble entreprise.
Sur ces mots, le sage Narada quitta la ville d’Indraprastha par la voie du ciel, chantant sans cesse les gloires du Seigneur des seigneurs.