La série consacrée à l’épopée du Mahabharata racontée par Normand Vanasse se poursuit…
Voir l’épisode précédent.
Arjuna épouse Soubhadra
Suivant le conseil de Krishna, Arjuna, vêtu en ascète, attendit dans la cour du temple du mont Raivataka de voir ce que lui réservait le destin. Lorsque fut terminée la cérémonie à laquelle étaient venus prendre part les pèlerins qu’il avait aperçus plus tôt – parmi lesquels se trouvait Soubhadra –, les membres de la dynastie Yadou, avec à leur tête le Seigneur Balaram, sortirent du temple et aperçurent le faux ascète assis sous un arbre en train de méditer. Balaram s’approcha de lui et se prosterna humblement devant lui avant de lui demander de se présenter. Connaissant la nature colérique de Balaram, Arjuna était pour sa part plutôt nerveux, d’autant plus qu’il avait appris que Balaram songeait sérieusement à offrir la main de sa sœur Soubhadra à Duryodhana. Il devait donc redoubler de prudence et prendre soin de ne pas révéler son identité.
Arjuna répondit simplement à Balaram qu’il était en pèlerinage et qu’il cherchait un endroit où demeurer pendant la saison des pluies. À sa grande surprise, Balaram lui suggéra spontanément d’élire domicile dans le jardin de sa sœur, car elle aurait ainsi l’occasion de servir un sage ascétique. Lui-même vivant en outre non loin de là, le jeune pèlerin aurait la chance de prendre quelques repas chez lui.
Un loup dans la bergerie
Sur ces entrefaites, Krishna parut sur les lieux et offrit de même son hommage au prétendu sage. Balaram lui fit part de sa proposition, mais Krishna lui exprima Son désaccord, jouant ainsi l’avocat du diable afin d’affermir la position de Balaram:
— Il n’est pas convenable que ce jeune ascète partage la compagnie de notre sœur. Nous ne savons rien de lui. Il est jeune et attrayant; Soubhadra pourrait facilement s’éprendre de lui. Mais tu es plus sage que moi, mon frère; la décision t’appartient.
— Cet ascète a parcouru le monde de pèlerinage en pèlerinage; il n’est plus soumis aux impulsions des sens et du mental. Je ne vois pour ma part aucun mal à ce qu’il vive dans le jardin de Soubhadra.
Satisfait de la détermination de Balaram, Krishna emmena le faux ascète chez sa sœur pour le lui présenter. Après quelques mots de bienvenue, Soubhadra accompagna Arjuna dans le jardin et lui indiqua où il pouvait résider.
Jour après jour, elle apporta eau et nourriture au pèlerin à demeure. Arjuna se rendait aussi parfois chez Balaram pour y partager son repas. Soubhadra y était présente, et il pouvait ainsi admirer la beauté de ses traits. Balaram appréciait grandement le sage qui vivait désormais parmi eux. Quant à Soubhadra, il lui arrivait de se demander ce que cachait les regards que le pèlerin posait sur elle.
À Dvaraka, le nom d’Arjuna était fréquemment sur les lèvres des citoyens. Quand les enfants se défiaient au combat, c’était pour personnifier Arjuna. Les parents souhaitaient quant à eux que leurs enfants deviennent un jour aussi courageux qu’Arjuna. Soubhadra avait elle-même beaucoup entendu parler d’Arjuna, au point d’être aussi captivée par lui que lui l’avait été par elle avant de la rencontrer. Chaque fois qu’un voyageur revenait d’un séjour à Indraprastha, Soubhadra s’informait d’Arjuna. Et d’après les descriptions qu’on lui en avait données, elle commençait à se demander si le sage qui logeait chez elle n’était pas en fait Arjuna…
Le chat sort du sac
Elle se résolut donc un jour à le questionner:
— Les gens affirment que tu as voyagé à travers le monde. Au cours de tes voyages, tu as certainement visité Indraprastha, où vivent ma tante Kounti et mes cousins, les Pandavas. Les aurais-tu rencontrés?
— Je les ai rencontrés.
— J’ai aussi entendu dire qu’Arjuna était en pèlerinage, tout comme toi; ne l’aurais-tu pas croisé, par hasard?
— Certes. Pour tout dire, je sais même où il se trouve en ce moment.
— Où donc? demanda aussitôt Soubhadra, suspendue à ses lèvres.
— Il est vêtu en ascète et vit présentement dans ton jardin.
Soubhadra rougit. Son regard se porta vers le sol, et elle resta muette. Arjuna lui avoua d’emblée son amour pour elle, ainsi que son désir de l’épouser. Elle l’écouta en silence, puis se retira dans ses appartements sans mot dire.
De la parole à l’acte
Le Seigneur Krishna étant sis dans le cœur de tous les êtres en tant qu’Âme suprême, Il connaissait les désirs intimes de Soubhadra et d’Arjuna. Aussi suggéra-t-il à ce dernier de kidnapper sa sœur, comme le veut la coutume chez les kshatriyas. Arjuna se rendit alors chez Vasoudéva et Dévaki, les parents de Soubhadra, pour obtenir leur permission, et un jour que Soubhadra se trouvait au temple, Arjuna s’empara d’elle pour la ramener avec lui à Indraprastha, Krishna lui ayant donné son propre char pour lui permettre de réaliser son vœu!
Tous apprirent bientôt que le prétendu sage était en réalité Arjuna, et qu’il avait kidnappé la belle Soubhadra. Balaram était furieux, au point de vouloir tuer Arjuna. Krishna réussit cependant à l’amadouer:
— Calme-toi, mon frère! Soubhadra a suivi Arjuna de plein gré. C’est même elle qui a préparé mon char, et encore elle qui a tenu les rênes pendant qu’Arjuna tenait les gardes à distance. Elle avait déjà résolument décidé de l’épouser. D’ailleurs, aurions-nous pu trouver un meilleur parti pour notre sœur? Arjuna est le joyau le plus précieux de la maison des Kourous. Nos deux familles sont maintenant unies d’encore plus près. Rendons-nous à Indraprastha et assurons-les de nos meilleurs sentiments.
Tout est bien qui finit bien
Balaram accueillit favorablement les arguments de son frère, et sa colère s’apaisa. Ils planifièrent donc d’assister au mariage de Soubhadra et d’Arjuna à Indraprastha.
Pendant ce temps, à l’approche d’Indraprastha, Arjuna dit à Soubhadra:
— Draupadi ne sera sûrement pas contente d’apprendre que je t’ai kidnappée. Tu devrais d’abord t’attirer ses faveurs. Habille-toi modestement, et va lui dire que tu te mets à son service. Dis-lui également que tu es la sœur de Krishna. Elle sera dès lors enchantée de te connaître, et lorsqu’elle apprendra que je compte t’épouser, elle ne s’en formalisera point.
Soubhadra se présenta donc à Draupadi, vêtue telle une simple villageoise. Elle lui offrit son hommage pour ensuite lui dire:
— Je m’appelle Soubhadra. Je suis la sœur de Krishna. Tu peux désormais me considérer comme ta servante.
Draupadi la prit dans ses bras et lui dit:
— Puisses-tu devenir l’épouse d’un héros, ainsi que la mère d’un héros.
Puis, pendant des heures et des heures, les deux femmes s’entretinrent de Krishna… et du désir de Soubhadra d’épouser Arjuna.
Hors les murs, la ville était en émoi, car on célébrait le retour du prince en pèlerinage. Tous étaient ravis de revoir leur héros, et ils lui exprimèrent leur joie en lui offrant des fleurs et des louanges.
Arjuna fit son entrée dans le palais de ses frères, où il fut accueilli chaleureusement. Il demanda à Draupadi si elle avait pu faire la connaissance de Soubhadra, ce à quoi elle lui répondit:
— J’ai déjà rencontré la jeune fille, qui est d’ailleurs fort jolie, et nous l’avons accueillie dans le palais.
Quelques jours plus tard, Krishna et son escorte arrivèrent à Indraprastha, où ils furent reçus en grande pompe. Après le mariage d’Arjuna et de Soubhadra, les habitants de Dvaraka retournèrent dans leur ville, à l’exception de Krishna, qui resta quelque temps à Indraprastha pour le plus grand bonheur de ses dévots, les Pandavas.