La série consacrée à l’épopée du Mahabharata racontée par Normand Vanasse se poursuit…
Voir l’épisode précédent.
Le pèlerinage d’Arjuna
En quittant Indraprastha, Arjuna se rendit sur les rives du Gange. Il pénétra dans les eaux du fleuve céleste pour s’y baigner, mais lorsqu’il voulut en sortir, il fut saisi par une force étrange. C’était Ulupi, la fille du roi des serpents. La beauté d’Arjuna l’avait captivée, et elle résolut de l’emmener dans sa demeure, au fond du Gange.
— Ô jolie créature, lui dit Arjuna en souriant. Où suis-je? Et qui es-tu?
— Je suis la fille de Kauravya, le roi des serpents, et je m’appelle Ulupi. Quand je t’ai aperçu dans les eaux du fleuve, j’ai instantanément été transpercée par les flèches de Cupidon. Ô tigre au cœur pur parmi les hommes, je ne suis pas encore mariée, et je souhaite vivement devenir ton épouse.
— Je suis venu dans la forêt afin d’honorer une promesse faite à mon frère Youdhishthira. Je ne suis pas libre d’agir à ma guise, car je dois vivre dans le célibat pendant un an. Comment donc pourrais-je accéder à ta requête?
— Je connais la raison de ton pèlerinage. Draupadi est votre épouse commune, et tu es entré dans la pièce où elle se trouvait avec Youdhishthira. Le vœu de célibat que tu as prononcé s’applique seulement en relation avec Draupadi. C’est pourquoi, ô Arjuna, tu te dois de soulager ma détresse. Si tu ne m’acceptes pas comme épouse, je m’enlèverai la vie.
Exhorté de la sorte par la princesse Ulupi, Arjuna se plia à son désir. Il passa la nuit avec elle, et le lendemain, elle le ramena sur les rives du Gange. En guise d’adieu, elle lui accorda une bénédiction:
— Tu seras désormais capable de vaincre au combat toute créature vivant dans l’eau.
D’aventure en aventure
Arjuna prit ensuite la route de l’Himalaya. Alors qu’il traversait la province de Manipoura, il voulut rencontrer son roi. Arrivé au palais, il aperçut d’abord la fille de ce dernier. Elle s’appelait Chitrangada et elle conquit aussitôt son cœur, si bien qu’il demanda sa main au roi.
— Qui es-tu? lui demanda le souverain.
— Je suis Arjuna, le fils de Pandou et de Kounti.
— Chacun de mes ancêtres a donné naissance à un fils, mais moi, j’ai engendré une fille. Je te donnerai la main de ma fille à condition que le fils qu’elle te donnera hérite du trône royal.
Arjuna acquiesça d’un signe de tête, et après avoir épousé la princesse, il vécut auprès d’elle pendant trois mois.
Puis il se rendit dans le sud de l’Inde, où il libéra cinq Apsaras qui avaient vu s’abattre sur elles la malédiction d’un grand sage, lequel les avait transformées en alligators. Elles étaient destinées à vivre ainsi pendant cent ans, mais Arjuna les sortit toutes des eaux du lac sacré où elles se trouvaient, et elles reprirent aussitôt leur forme de courtisane céleste. Leur gratitude à l’endroit d’Arjuna était sans borne, mais elles ne s’éternisèrent pas en sa compagnie, pressées qu’elles étaient de regagner leur planète.
L’appel du cœur
Prochaine étape : Dvaraka, au nord cette fois. Quand les fils de la dynastie Vrishni étudiaient l’archerie avec Drona, à Hastinapoura, un des amis d’Arjuna était Gada, un cousin de Krishna. Gada avait souvent parlé à Arjuna de sa cousine Soubhadra, la sœur de Krishna, si souvent qu’Arjuna n’avait cessé de penser à elle. Il souhaitait vivement la voir, mais sans attirer l’attention. Il profita donc du fait qu’étant en pèlerinage, il pouvait librement circuler vêtu en mendiant, ce qui lui éviterait d’être reconnu. Il reprit donc la route, mais une forte pluie l’obligea à faire halte à Prabhasa-kshetra, aux abords de Dvaraka, et à s’y abriter sous un banian.
Krishna se trouvait dans le palais de Satyabhama, une de ses épouses, quand on vint lui dire qu’un humble sage avait été aperçu près de l’entrée de la ville. Il savait très bien qu’il s’agissait d’Arjuna, et il éclata d’un rire soudain. Satyabhama Lui en demanda naturellement la raison.
— Mon ami Arjuna est en pèlerinage depuis maintenant plusieurs mois, et il vient aujourd’hui à Dvaraka dans l’espoir d’obtenir la main de ma sœur Soubhadra. Je le vois cependant adossé à un banian, non loin d’ici, sous la pluie battante. Je ferais bien d’aller lui souhaiter la bienvenue.
Ce qu’il fit aussitôt, heureux d’aller aux devants de son cher ami. Ils se donnèrent l’accolade, et Krishna trouva fort cocasse de voir Arjuna vêtu en ascète! Arjuna fit alors part à Krishna de son désir de voir Soubhadra en personne, et Krishna lui proposa de l’accompagner jusqu’au mont Raivataka et d’y rester quelque temps.
Le coup de foudre
Un jour que des pèlerins gravissaient la montagne pour y faire acte d’adoration dans le temple, Arjuna aperçut dans le cortège la divine Soubhadra, et comme il la regardait, il sentit une présence derrière lui. Se retournant, il reconnut son ami Krishna qui lui dit:
— La passion qui se dégage de tes yeux ne correspond nullement aux vêtements que tu portes.
— Ne me taquine pas ainsi, Krishna, je t’en prie. Dis-moi la vérité: la jeune fille qui vient de passer est-elle Soubhadra, ta sœur?
— Oui, c’est bien elle. Si elle t’intéresse vraiment, je ferai part de ton désir à mon père, Vasoudéva.
— Je veux l’épouser. Explique-moi, je t’en supplie, comment y parvenir.
— Je crois que si tu restes ici, près du temple, le destin suivra son cours, lui répondit Krishna avant de se perdre dans la foule.
Et Arjuna resta seul avec ses pensées, son cœur battant la chamade.