La série consacrée à l’épopée du Mahabharata racontée par Normand Vanasse se poursuit…

Voir l’épisode précédent.

Khandavaprastha

Après s’être vu octroyé la moitié du royaume, Youdhishthira, entouré de ses frères et de leur reine, Draupadi, fit le point sur la situation. Khandavaprastha avait jadis été la capitale des Kourous, mais à cause d’une malédiction, la région était maintenant devenue désertique. Aucune plante n’y poussait, aucun animal n’y vivait; le désert s’y étendait à perte de vue.

Le Seigneur Krishna y avait accompagné les Pandavas, et c’est sans détour qu’il dit à Maharaja Youdhishthira:

— Vois le beau pays que t’a offert ton généreux oncle! Et dire que cette injustice a été sanctionnée par l’aïeul Bhishma! Ils paieront tous pour cette infâmie. Mais pour l’instant, voyons ce que nous pouvons faire pour déjouer les plans du roi aveugle.

Il invoqua sur-le-champ Indra, le roi des planètes édéniques:

— Dans sa grandeur d’âme, le monarque des Kourous a fait don de cette terre aux Pandavas. Je veux que tu y fasses tomber la pluie afin de la rendre fertile et qu’y poussent les meilleurs arbres fruitiers et les fleurs les plus odorantes. À compter de ce jour, cette région sera connue sous le nom d’Indraprastha en ton honneur. Fais en sorte qu’elle devienne aussi opulente que ton propre royaume.

Krishna demanda ensuite à Vishvakarma, l’architecte des dévas, de construire une ville pour les Pandavas, et c’est le sage Vyasadéva en personne qui inaugura la cité au son de mantras védiques.

Représentation conceptuelle d’Indraprastha

La ville jouissait d’une beauté incomparable. Ses rues et avenues se croisaient à angle droit, et les maisons, symétriques, étaient de marbre incrusté de pierres précieuses. Dans les jardins se trouvaient des lacs remplis de fleurs de lotus, ainsi que des arbres fruitiers de toutes variétés sur les branches desquels chantaient des oiseaux comme le coucou, le perroquet et le paon. Hommes et femmes venaient de partout pour vivre dans cette capitale protégée par les fils de Kounti. La présence même du Seigneur Krishna, qui séjourna à Indraprastha pendant quelque temps, constituait la plus belle décoration de la ville, et l’atmosphère qui y régnait était digne du monde spirituel.

Une entorse est une entorse

Un jour, le sage Narada vint rendre visite aux Pandavas, qui le reçurent dans leur palais avec le plus grand respect et la plus haute vénération. Profitant de ce que Draupadi était retourné dans ses appartements, Narada dit en privé aux cinq frères:

— Cette ravissante princesse est votre épouse commune. Il vous faut donc établir un code de conduite pour éviter que la dissension s’installe entre vous. Il y avait jadis deux frères inséparables, nommés Sunda et Upasunda qui, voyant un jour une jeune fille céleste, furent l’un et l’autre captivés par sa beauté au point de s’entretuer pour obtenir sa main. Ne laissez pas un tel malheur s’abattre sur vous.

Sur ces paroles de sagesse du grand Narada, les cinq frères décidèrent d’un commun accord que Draupadi vivrait avec chacun d’eux à tour de rôle durant une année à la fois. S’il arrivait que l’un des Pandavas entrât dans la demeure d’un de ses frères alors que Draupadi s’y trouvait, il lui faudrait réparer son impair en allant vivre un certain temps dans la forêt. Cette règle établie, leur vie s’écoula sans heurt à Indraprastha.

Du moins jusqu’à ce qu’un jour, des voleurs s’approprient les vaches d’un brahmana qui vint s’en plaindre à Arjuna. Ce dernier expliqua au malheureux qu’il se ferait un plaisir de l’aider, mais que cela lui était impossible pour le moment, car son arc se trouvait dans la pièce où Youdhishthira et Draupadi étaient présentement en tête-à-tête. Mais le brahmana exigea une intervention immédiate, avant que les voleurs ne s’éloignent trop. Ainsi pressé d’accéder à la requête du plaignant, Arjuna entra dans la pièce où étaient assis Draupadi et Youdhishthira. Il fit part à son frère de la raison de son intrusion, et prit son arc pour aussitôt ressortir. Le brahmana et Arjuna prirent place sur le char de ce dernier et partirent ensemble à la poursuite des voleurs. Il ne leur fallut guère de temps pour les rattraper, et après les avoir transpercés de ses flèches, Arjuna put rendre ses vaches au brahmana.

De retour à Indraprastha, Arjuna dit à Youdhishthira:

— J’ai agi par devoir, mais il me faut tout de même respecter l’entente que nous avons conclue. Je suis entré dans la chambre où tu étais avec Draupadi, et j’irai pour cela vivre en forêt pendant un an.

Youdhishthira tenta bien de l’en dissuader, mais en vain. Arjuna était déterminé à honorer le code de conduite dont ses frères et lui avaient convenu.

L’épopée du Mahabharata – Épisode 27