La série consacrée à l’épopée du Mahabharata racontée par Normand Vanasse se poursuit…
Voir l’épisode précédent.
Le mariage de Draupadi
En arrivant au palais de Droupada, Kounti fut accueillie par les femmes du roi avec le plus grand respect et la plus haute vénération. La princesse Draupadi fut elle-même chaleureusement reçue avec tous les égards dus à son rang.
Les Pandavas firent ensuite leur entrée, et Droupada contempla ces taureaux parmi les hommes marchant tels des lions, les épaules larges et les bras longs, jusqu’aux genoux. De toute évidence, ils étaient de sang royal. Il leur offrit donc des sièges d’honneur et leur fit servir les mets les plus fins. Puis, lorsqu’ils furent rassasiés, il leur posa la question qui lui brûlait la langue:
— Êtes-vous des brahmanas, des kshatriyas ou des dévas déguisés? Ayez la bonté d’éclaircir mes doutes à ce sujet. Je pourrai ainsi organiser le mariage de ma fille en fonction de votre rang social.
Maharaja Youdhishthira lui répondit en ces termes:
— Ô roi, veuille chasser tes doutes, car ton aspiration profonde a été comblée. Nous sommes des kshatriyas, plus précisément les fils de Pandou. Je suis l’aîné, Youdhishthira. Et voici Bhima; c’est lui qui, hier, a vaincu les rois et les princes ligués contre toi. Voici Arjuna, dont l’adresse au tir à l’arc a su gagner la main de ta fille. Enfin, voici Nakoula et Sahadéva, ainsi que notre mère, Kounti. Que l’angoisse quitte maintenant ton cœur. Ta fille, telle une fleur de lotus, est passée d’un lac à un autre. Ô roi, tu es notre unique refuge, et tous les honneurs te sont dus.
Les yeux du roi Droupada baignaient dans l’extase, à presque en perdre connaissance. Pendant quelques instants, il fut si ému qu’il ne put rien dire. Puis, retrouvant ses esprits, il pria Youdhishthira de lui expliquer comment ils avaient pu s’échapper du palais de laque. Youdhishthira lui raconta l’histoire avec force détails, et le roi Droupada condamna violemment la perfidie des fils de Dhritarashtra avant de promettre aux Pandavas de les aider à regagner leur royaume.
Stupéfiante révélation
Du seul fait que les Pandavas se trouvaient dans son palais, le roi Droupada jouissait d’une félicité sans borne. Puis, l’heure étant venue, il formula cette requête:
— Je veux qu’en ce jour de bon augure, le prince des Kourous, Arjuna, soit uni à ma fille par les liens du mariage.
— Ô roi, répondit Youdhishthira, selon les Écritures, le fils aîné doit se marier le premier.
— Si cela peut te rendre heureux, prends toi-même la main de ma fille.
— Il a plutôt été convenu, à la demande de notre mère, que ta fille serait notre épouse commune, à mes frères et à moi. Ce bijou de femme a été gagné par Arjuna, et notre règle d’honneur veut que nous partagions équitablement tout ce que nous acquérons. Draupadi sera donc notre épouse à tous.
— Ô descendant des Kourous, répondit le roi quelque peu confus par ces propos, il est dit qu’un homme peut avoir plusieurs épouses, mais je n’ai jamais entendu dire qu’une femme pouvait avoir plusieurs maris. Te sachant versé dans la morale et réfractaire à tout geste impie, ô prince, je te prie de me dire d’où vient cette idée.
Sur les entrefaites, apparut sur les lieux le grand sage Vyasadéva, aussitôt reçu avec honneur. Après lui avoir offert un siège élevé, Maharaja Droupada lui dit:
— Sois le bienvenu dans mon palais, ô sage. Quelque chose me rend perplexe, et je suis certain que tu sauras trancher la question. Explique-moi, s’il te plaît, comment une femme peut devenir l’épouse de plusieurs hommes sans encourir de faute.
Vyasa se leva alors de son siège et demanda à Droupada de lui accorder une audience privée, au cours de laquelle il lui expliqua que, dans sa vie antérieure, sa fille Draupadi avait prié le Seigneur Shiva de lui trouver un époux qualifié. Et comme elle l’avait sollicité à cinq reprises avant qu’il n’apparaisse devant elle, Shiva lui accorda la bénédiction d’avoir cinq époux.
Vyasa expliqua ensuite à Droupada que les Pandavas, dans leur vie antérieure, étaient des dévas, en plus d’être des compagnons éternels du divin Seigneur suprême. Il conféra alors au roi la vision spirituelle nécessaire pour lui permettre de constater par lui-même l’identité originelle des Pandavas. Ainsi convaincu qu’il s’agissait bien d’un arrangement d’ordre supérieur, Maharaja Droupada donna son accord au quintuple mariage.
Cérémonie, dot et présents
Le roi avait planifié une célébration fastueuse et opulente. Le palais et les dépendances étaient splendidement décorés. Drapeaux et festons, ainsi que des milliers de guirlandes multicolores ornaient les innombrables pièces. On aurait dit une demeure céleste.
Dhaumya, le prêtre des Pandavas, alluma le feu sacrificiel au moyen de mantras védiques spécialement conçus à cette fin. Puis, un à un, il fit appeler les Pandavas et leur demanda de décrire une marche circulaire autour du feu en tenant la main de Draupadi. Le roi Droupada donna quant à lui aux nouveaux mariés une dot digne des princes qu’ils étaient et de sa fille bien-aimée, soit une centaine de chars en or, chacun tiré par des chevaux dont l’attelage était également en or; une centaine d’éléphants de la plus haute qualité; des bijoux, de l’or, de la literie, des tapis ainsi que nombre de servantes.
La cérémonie terminée, Krishna, le Seigneur des seigneurs, fit lui-même parvenir aux Pandavas moult présents, dont des ornements en or incrustés de perles, plusieurs couvertures aussi belles que douces, des tapis et des chars en or. Il leur donna lui aussi de nombreux éléphants et chevaux, ainsi que des centaines de milliers de pièces d’or et de pierres précieuses. Présents que reçurent avec joie Youdhishthira et ses frères, éternellement reconnaissants de la grâce qui leur était ainsi faite.