La série consacrée à l’épopée du Mahabharata racontée par Normand Vanasse se poursuit…
Voir l’épisode précédent.
Le roi Droupada retrouve l’espoir
En entrant dans la maison du potier où ils logeaient, les Pandavas dirent à Kounti, enthousiastes: «Viens voir, mère, ce que nous avons gagné aujourd’hui.» Sans même avoir posé le regard sur ses fils, Kounti leur dit: «Quoi que vous rapportiez, partagez-le à parts égales.» Puis, apercevant Draupadi, elle s’exclama: «Quelles paroles ai-je prononcées là!»
Les Pandavas donnèrent alors à leur mère un compte rendu détaillé des événements de la journée. Kounti prit la main de Draupadi et dit à Youdhishthira:
— La fille du roi Droupada vient de m’être donnée. Sans l’avoir vue, je vous ai demandé de partager entre vous ce que vous aviez gagné aujourd’hui. Dis-moi, ô meilleur d’entre les Kourous, comment peux-tu faire en sorte que mes paroles n’aient pas été prononcées en vain?
Youdhishthira réfléchit un instant à la question de sa mère, puis il dit à Arjuna:
— C’est toi qui as gagné la main de Draupadi; il serait donc pertinent qu’elle devienne ton épouse.
— Je ne tiens pas à souiller ma conscience, répondit Arjuna. Tu es l’aîné de la famille, et la tradition dicte que tu te maries le premier. Lorsque ce sera fait, mes autres frères et moi pourrons, le temps venu, nous marier à notre tour, du plus vieux au plus jeune. Ne doit-il pas en être ainsi?
Youdhishthira vit néanmoins que les yeux de ses quatre frères, empreints de respect et de tendresse, étaient rivés sur la ravissante Draupadi, qui regardait elle aussi les Pandavas d’un œil affectueux. Comprenant le sentiment qui animait le cœur de ses frères et craignant qu’il ne soit source de division, Youdhishthira déclara finalement:
— La belle Draupadi sera notre épouse à tous.
Jugeant cette décision fort sage, les autres Pandavas éprouvèrent un grand soulagement. Tout comme Kounti, d’ailleurs, dont les paroles n’auraient pas été prononcées en vain.
Une visite inattendue
On se rappellera qu’après avoir quitté l’assemblée du svayamvara de Draupadi, les Pandavas avaient été suivis par Krishna et Balaram. Le divin Krishna déborde de bienveillance envers ses dévots, et les Pandavas sont d’éternels amis du Seigneur. Aussi Krishna voulait-il les honorer de Sa présence.
Accompagné de son frère Balaram, Krishna pénétra dans la maison du potier. Ils y virent les Pandavas assis près de leur mère, ainsi que la ravissante Draupadi. S’approchant de Youdhishthira, Krishna lui offrit son hommage et lui dit:
— Je suis Krishna, le fils de votre oncle Vasoudéva.
Puis, il toucha les pieds de Kounti, et Balaram fit de même. Krishna donna ensuite l’accolade à Arjuna, qui était du même âge que lui, et il accueillit les hommages que lui rendaient Nakoula et Sahadéva. Balaram étreignit quant à lui Bhima – eux aussi étaient du même âge –, pour ensuite recevoir les hommages d’Arjuna et des jumeaux.
Youdhishthira demanda alors au Seigneur Krishna:
— Comment as-tu pu nous reconnaître, alors que nous avons pris l’apparence de brahmanas?
— Ô roi, dit Krishna en esquissant un sourire, même en couvrant le feu, on ne saurait le cacher. Qui d’autre que les Pandavas auraient pu accomplir un exploit comme celui d’aujourd’hui? Vous avez eu l’heureuse fortune d’échapper aux flammes du palais de laque, déjouant ainsi le plan diabolique des fils de Dhritarashtra. Ils ignorent que vous êtes encore en vie; vous n’avez donc rien à craindre d’eux pour le moment. Restez toutefois cachés encore un peu, le temps qu’une entente soit conclue avec eux. Vous pourrez alors sortir de l’anonymat, et compter sur l’appui des dynasties Yadou et Vrishni. Balaram et moi devons maintenant partir, afin que nul ne soupçonne notre présence en ces lieux.
Les murs ont des oreilles
Or, il se trouva qu’une autre personne avait suivi les Pandavas jusque chez le potier: Dhrishtadyoumna, le fils de Droupada. Il désirait en effet connaître celui qui avait obtenu la main de sa sœur. Après que Krishna et Balaram eurent quitté les lieux, il s’approcha de la fenêtre afin d’écouter ce qui se disait à l’intérieur. Kounti s’entretenait alors avec Draupadi de la nourriture obtenue ce jour-là.
— Prends d’abord une portion et offre-la au Seigneur Vishnou, puis distribue-la aux brahmanas et aux invités. Sépare ensuite le reste en deux, et donnes-en une moitié à Bhima, mon deuxième fils, car il a toujours faim.
Bhima rougit d’embarras tandis que Draupadi esquissait un sourire. Dhrishtadyoumna, qui pouvait entrevoir le visage de sa sœur et la lueur de ses yeux, put quant à lui constater l’humeur joyeuse de Draupadi.
— L’autre moitié, poursuivit Kounti, pourra être partagée entre moi et mes quatre autres fils.
Draupadi fit ce que lui avait demandé Kounti, et lorsque ses époux eurent terminé leur repas, elle mangea la part qu’ils lui avaient réservée.
Comme le soleil se couchait, Sahadéva, le plus jeune des cinq frères, prépara à même le sol un lit d’herbe kusha sur lequel il disposa des peaux de daim. Les Pandavas s’y allongèrent, Kounti à leur tête et Draupadi à leurs pieds, et avant qu’ils s’endorment, Dhrishtadyoumna put les entendre parler de chars, d’arcs, de flèches, d’éléphants, de masses et d’armées. À la faveur de la nuit, il regagna alors le palais de son père.
Un profond soulagement
Perplexe quant à l’identité de celui qui avait gagné la main de sa fille, le roi Droupada questionna Dhrishtadyoumna à son retour:
— Dis-moi, mon fils, qu’est-il advenu de Draupadi? Qui l’a emmenée? S’agissait-il d’un shoudra? D’un riche vaishya? D’un valeureux kshatriya? Ou bien d’un sage brahmana? Qui a su gagner la main de ma fille? J’espérais tellement qu’elle épouse Arjuna, le meilleur d’entre les hommes! Dis-moi, je t’en prie, les fils de Pandou sont-ils encore en vie? L’œil du poisson aurait-il été transpercé par Arjuna?
— D’après ce que j’ai vu et entendu, il est évident que Draupadi ne se trouve pas dans une famille de shoudras, de vaishyas ou de brahmanas, car les conversations étaient franchement d’ordre militaire. Les voix des hommes réunis étaient graves et profondes. Ils m’ont semblé être des héros du plus haut rang. Vos souhaits pourraient bien être exaucés, père. Car, vu la force déployée par le gagnant pour bander l’arc, l’aisance avec laquelle il a atteint la cible, et les propos échangés avec ses frères, j’en conclus qu’il ne peut s’agir que des fils de Pandou vivant incognito.
Droupada retrouva l’espoir en son cœur. Il envoya un prêtre à la maison du potier pour annoncer que la cérémonie du mariage de Draupadi aurait lieu le jour même. Tous devaient donc se rendre à son palais le plus tôt possible. Le monarque fit envoyer à Draupadi des robes d’une grande opulence, et aux cinq héros, qu’il soupçonnait être les Pandavas, des vêtements et des ornements d’une grande richesse. Puis on vit apparaître à la porte du potier un char royal qui emmena prestement les Pandavas, leur mère et Draupadi au palais de Droupada.