La série consacrée à l’épopée du Mahabharata racontée par Normand Vanasse se poursuit…
Voir l’épisode précédent.
Draupadi choisit son époux
La ville de Kampilya vibrait au son de divers instruments de musique tandis que les citoyens s’affairaient aux derniers préparatifs du svayamvara (la cérémonie du choix de l’époux) de Draupadi. Des rois et des princes de prestigieuses dynasties étaient venus de tous les coins de la Terre. Et le roi Droupada avait fait construire un amphithéâtre spécialement pour le mariage de sa fille.
En son for intérieur, le monarque souhaitait vivement qu’Arjuna devienne l’époux de la princesse. Il fit donc construire un arc si robuste que seul Arjuna, selon lui, serait capable de le bander. Si toutefois quelqu’un d’autre y parvenait, il devrait ensuite percer l’œil d’un poisson accroché à une roue suspendue au plafond de l’enceinte. Et non pas en le visant directement, mais en regardant son reflet dans un bassin d’eau au sol. Droupada était certain que seul Arjuna pourrait accomplir un tel exploit. Il espérait donc qu’il n’était pas vraiment mort brûlé dans l’incendie du palais de laque, et que le svayamvara de sa fille Draupadi l’amènerait à Kampilya.
Les présentations
Le jour de la cérémonie, rois et princes entrèrent dans l’amphithéâtre, et les citoyens de la ville s’assemblèrent tout autour par milliers. L’officiant responsable du déroulement de l’événement alluma le feu sacrificiel au son de mantras védiques. Puis Dhrishtadyoumna, tenant la main de Draupadi, s’adressa à l’assemblée:
— Bienvenue à tous, qui êtes venus de partout. Je vous présente ma sœur, Draupadi. Nulle autre femme au monde n’égale sa beauté. Pour mériter sa main, il faudra d’abord poser une corde à cet arc, pour ensuite transpercer l’œil du poisson qui se trouve au plafond. Il est interdit de viser directement la cible; il faudra l’atteindre en ne voyant que son reflet dans cette vasque remplie d’eau. Quiconque réussira cet exploit obtiendra la main de ma sœur.
Le fils de Droupada dit ensuite à la future promise:
— Ô Draupadi, en ces lieux sont assemblés les meilleurs des kshatriyas. Voici Duryodhana et ses cent frères, avec leur ami Karna. Ils sont venus ici dans l’espoir d’obtenir ta main. D’autres rois, innombrables, sont venus pour toi. Voici Shakouni, le fils du roi de Gandhara, avec ses frères. Et voici le grand archer Ashvatthama, fils de Drona. Sont aussi présents le très puissant Jarasandha et le roi Paundraka, ainsi que Bhagadatta. Assis en face de toi se trouve Krishna, le fils de Vasoudéva, en compagnie de son frère Balaram et des membres de la dynastie Yadou, parmi lesquels Satyaki, Kritavarma et Akroura. Les dynasties Vrishni et Kourou sont également représentées par de très puissants monarques, et près d’eux se trouve le roi Shishoupala. Tous ces guerriers, et bien d’autres encore, sont venus ici dans l’espoir de gagner ton cœur. Tous s’efforceront donc de bander l’arc et de transpercer l’œil du poisson.
Ambitions et frustrations
En voyant la beauté de Draupadi, tous les rois et les princes se levèrent, plus déterminés que jamais à exhiber devant elle leur habileté au tir à l’arc. Ils devinrent tous jaloux les uns des autres, clamant à qui mieux mieux «Draupadi sera ma reine». Tous étaient fascinés par la beauté paradisiaque de la fille de Droupada, et certains d’entre eux en étaient si enivrés qu’ils n’arrivaient plus à mettre un pied devant l’autre.
Les dévas s’assemblèrent dans le ciel à bord de leurs chars aériens afin de ne rien manquer de l’événement. L’amphithéâtre bouillonnait d’agitation, et les Pandavas, vêtus tels des brahmanas, se levèrent aux aussi afin de mieux admirer la ravissante princesse. Voyant les fils de Kounti assis au beau milieu des brahmanas, le divin Krishna se pencha vers son frère Balaram et lui dit:
— Regarde, Baladéva! Là-bas se trouvent Youdhishthira, Bhima, Arjuna et les jumeaux. Ils n’ont pas péri dans le palais de laque.
— Voilà une excellente nouvelle! Je suis ravi de savoir que Kounti, la sœur de notre père, est vivante, ainsi que ses cinq fils.
Balaram jeta un coup d’œil en direction des brahmanas, et en voyant les Pandavas les yeux rivés sur Draupadi, il sourit de joie.
À tour de rôle, les kshatriyas s’avancèrent pour tenter de placer une corde sur l’arc. Tous portaient des couronnes, des guirlandes, des bijoux en or et d’autres ornements. Et tous débordaient d’enthousiasme et d’énergie. Cependant, la plupart d’entre eux n’arrivaient même pas à bander l’arc et se voyaient projetés au sol lorsqu’il se détendait brusquement.
Duryodhana réussit à poser la corde, mais la flèche qu’il parvint à lancer arriva à un doigt de l’œil du poisson. Shalya atteignit presque la cible; il ne lui manquait que la largeur d’un haricot. Shishoupala rata la cible lui aussi, de la largeur d’une graine de sésame, tandis que Jarasandha la rata de la largeur d’une graine de moutarde.
Voyant que personne n’arrivait à atteindre la cible, Karna se leva pour s’approcher de l’arc, et tous les regards se posèrent sur lui. Les Pandavas se dirent alors que c’en était fait, que l’œil du poisson allait cette fois être transpercé. Karna posa rapidement la corde à l’arc et se prépara à décocher une flèche, mais Draupadi s’exclama à haute voix:
— Je ne choisirai pas pour époux le fils d’un charpentier.
Karna lança tout de même la flèche, qui rata la cible d’un cheveu. Aucun des prétendants n’avait pu atteindre la cible!
Heureux qui, comme Arjuna…
Arjuna, vêtu comme un brahmana, se lève alors et s’adresse à Dhrishtadyoumna:
— Un brahmana est-il autorisé à prendre part à la compétition? Je vois que la cible n’a pu être atteinte par aucun des rois et des princes ici présents.
— Oui, bien sûr! Quiconque s’en sent capable a le droit de participer au tournoi. Avance-toi et essaie de bander l’arc; et si tu y parviens, tente de transpercer d’une flèche l’œil du poisson.
Arjuna saisit l’arc et y met rapidement une corde, puis y dépose une flèche. On n’entend maintenant plus un son; tous les regards sont tournés vers Arjuna, qui fixe intensément dans l’eau le reflet du poisson.
En un seul mouvement, il lève son arc et laisse partir la flèche, qui atteint le poisson droit dans l’œil et le fait tomber au sol. Les rois et les princes qui ont raté la cible n’en croient pas leurs yeux! Dans le firmament, les dévas applaudissent et font pleuvoir des fleurs sur Arjuna. L’amphithéâtre se remplit de cris de joie. On entend alors résonner tambours, conques et cymbales.
Le roi Droupada arbore un large sourire, fermement convaincu que le brahmana est nul autre qu’Arjuna. Et Draupadi s’approche de lui pour lui offrir la guirlande de la victoire.
Les prétendants défaits s’indignent
Incapables de tolérer que le roi Droupada donne sa fille à un brahmana, les prétendants assemblés s’exclament:
— Ce Droupada est en train de se payer notre tête. Selon les Védas, le svayamvara est destiné aux kshatriyas, et non aux brahmanas. Et puisque les kshatriyas doivent protéger les brahmanas, nous ne pouvons rien faire contre celui qui vient d’atteindre la cible. Nous pouvons cependant, afin d’éviter la disgrâce, tuer Droupada pour nous avoir ainsi humiliés.
Après s’être aiguillonnés de la sorte, ils empoignent leurs armes respectives et se ruent sur leur hôte dans l’intention de le tuer. Se voyant assailli, Droupada cherche refuge auprès d’Arjuna, qui le regarde en souriant pour le rassurer tout en lui disant:
— N’aie nulle crainte. Je saurai freiner leurs ardeurs.
Bhima déracine aussitôt un arbre et se tient debout près de son frère, prêt à neutraliser la horde des ennemis. Youdhishthira, Nakoula et Sahadéva se préparent eux aussi au combat.
Retour au calme dans l’anonymat
Les rois et les princes s’apprêtent à livrer bataille contre Arjuna. Les brahmanas se lèvent alors afin de lui prêter main forte, mais il les assure qu’il pourra facilement faire entendre raison à tous ces valeureux guerriers.
C’est alors que Karna se rue vers Arjuna, et Shalya vers Bhima. Duryodhana confronte Youdhishthira, pendant que Shakouni se bat contre Nakoula et Sahadéva. Lorsque Karna constate qu’il lui sera impossible de vaincre son adversaire, il lui dit:
— Ô brahmana, je suis étonné de ta force et de ton courage au combat. Serais-tu Parashourama? Le grand Indra en personne? Ou encore le Seigneur Vishnou? Parmi les humains, seul Arjuna, le fils de Pandou, est capable de me vaincre, et il est mort.
— Je ne suis ni Parashourama, ni Indra, ni Vishnou. Je ne suis qu’un simple brahmana, et j’ai appris le tir à l’arc de mon précepteur.
Karna cesse alors le combat, de peur d’offenser un brahmana.
Personne ne parvient à dévoiler l’identité des vaillants combattants que sont ces mystérieux brahmanas, et tous les guerriers mettent aussitôt fin à la bataille. Arjuna, ses frères et Draupadi quittent alors l’amphithéâtre, suivis de loin par le Seigneur Krishna et son frère Balaram.