La série consacrée à l’épopée du Mahabharata racontée par Normand Vanasse se poursuit…
Voir l’épisode précédent.
Deux enfants nés du feu
Après avoir exterminé le Rakshasa qui terrorisait les citoyens d’Ekachakra, les Pandavas continuèrent à vivre dans cette ville. Un jour, un brahmana en pèlerinage fut invité dans la maison où ils logeaient. Désireux d’obtenir des nouvelles dignes de leur intérêt, ils le questionnèrent sur ce qu’il avait vu au cours de ses voyages.
Après leur avoir parlé de différents pays, lieux de pèlerinage et rivières sacrées, le brahmana leur apprit que Droupada, le roi du Panchala, souhaitait marier sa fille Draupadi. Il ajouta que Draupadi et son frère Dhrishtadyoumna étaient nés du feu sacrificiel, et que ce dernier avait étudié l’archerie auprès de Dronacharya, ce qui piqua la curiosité des cinq frères.
— Comment, ô brahmana, Draupadi et Dhrishtadyoumna ont-ils pu naître du feu sacrificiel? Et comment le fils de Droupada en est-il venu à apprendre de Drona l’art du tir à l’arc?
— Après la défaite du roi Droupada aux mains des Pandavas sous la conduite de Drona [comme les Pandavas vivaient incognito à Ekachakra, l’invité ignorait l’identité de ses interlocuteurs], il se mit à visiter les ashrams de brahmanas tenus pour experts dans l’exécution des rites sacrificiels. Son but était d’en trouver un qui puisse l’aider à tuer Drona, afin de récupérer l’intégralité de son royaume.
Pour un rappel des événements, voir Une offrande pour Drona.
Patience et persévérance
Alors que Droupada longeait les rives du Gange, il trouva l’ashram de deux brahmanas nommées Yaja et Upayaja, tous deux descendants du sage Kashyapa Mouni et en parfaite maîtrise de leurs sens. Le roi Droupada se lia d’amitié avec eux et vint quotidiennement leur rendre visite. Il lui arrivait aussi de les accueillir dans son palais.
Un jour, en privé, le roi dit à Upayaja:
— Ô brahmana, je désire avoir un fils capable de tuer Drona, le maître d’armes des Kourous. Il a usurpé la moitié de mon royaume, et ainsi humilié la dynastie des Panchalas. Si tu pouvais accomplir un sacrifice à cette fin, je te donnerais dix mille vaches en retour.
Mais le sage lui répondit qu’il lui était impossible d’accomplir un tel sacrifice.
Droupada continua néanmoins à vénérer ce brahmana, et au bout d’un an, Upayaja lui dit un jour:
— Je n’aspire nullement aux plaisirs et aux biens de ce monde. Il en va toutefois autrement de mon frère Yaja. Demande-lui donc d’accomplir le sacrifice que tu souhaites tant.
Droupada alla trouver Yaja et l’implora d’allumer le feu sacrificiel.
— Ô brahmana, il est un précepteur des Kourous nommé Drona qui a volé injustement la moitié de mon royaume. Aucun kshatriya sur Terre n’égale sa force. Son arc mesure trois mètres, et avec ses flèches, il peut subjuguer tous ses ennemis. Sa force spirituelle et militaire est supérieure à la mienne. Cependant, ta puissance est supérieure à la sienne, et c’est pourquoi je te demande d’accomplir un sacrifice grâce auquel je pourrai engendrer un enfant invincible à même de faire un jour périr ce Drona. Comble mon vœu, et je te donnerai dix mille vaches en retour; j’en fais la promesse.
— Soit!, répondit spontanément Yaja.
Flammes fertiles
Le roi Droupada procura alors au brahmana tous les ingrédients et accessoires nécessaires à l’accomplissement du sacrifice. La mise en place achevée, Yaja alluma le feu sacrificiel et y fit des oblations de ghi au son de mantras védiques.
Pendant que s’élevaient les flammes, il en sortit un enfant étincelant comme le soleil qui portait une couronne en or et dont le corps était recouvert d’une armure céleste. Dans sa main gauche, il tenait un arc et des flèches, et dans sa main droite, une épée. Il monta aussitôt sur un char en poussant des cris qui résonnaient comme le tonnerre. Une voix se fit soudain entendre dans l’éther:
— Ce prince a vu le jour afin d’anéantir Drona. Ainsi le roi Droupada sera-t-il libéré de sa tristesse, et la renommée des Panchalas s’étendra partout.
Au même instant, on vit sortir du feu sacrificiel une jeune princesse, belle comme une déesse. Ses yeux étaient noirs, en forme de pétales de lotus. Son teint était sombre, et ses cheveux, bleutés et bouclés. Ses ongles avaient la couleur du cuivre. Elle dégageait une odeur semblable à celle du lotus bleu, que l’on pouvait sentir à trois kilomètres à la ronde. Aucune femme sur Terre n’égalait sa beauté.
Une autre voix se fit alors entendre dans le ciel:
— Cette princesse au teint foncé, à la taille fine et aux longs cheveux deviendra une femme des plus nobles. À cause d’elle, plusieurs kshatriyas trouveront la mort, mais elle fera le bonheur des Pandavas.
En entendant ces paroles de bon augure, les membres de la famille du roi Droupada s’exclamèrent de joie. Puis, les brahmanas de la cour donnèrent aux enfants leurs noms.
— Le fils du roi Droupada sera appelé Dhrishtadyoumna; dhrishta signifie «qui est sorti du feu», et dyoumna, «né avec une armure naturelle». Quant à la fille, elle s’appellera Krishna, car elle a le teint noirâtre. On la connaîtra aussi sous le nom de Draupadi, «la fille du roi Droupada».
Le pèlerin de passage dans la maison où logeaient les Pandavas conclut son récit comme suit:
— C’est ainsi que deux enfants naquirent du feu sacrificiel accompli en faveur du roi Droupada. Dhrishtadyoumna obtint de Drona qu’il l’accepte comme élève, bien que ce dernier sût parfaitement bien qu’il serait plus tard tué par lui. Le maître y vit en effet un arrangement providentiel, et accepta malgré tout d’instruire le fils du roi Droupada.