La série consacrée à l’épopée du Mahabharata racontée par Normand Vanasse se poursuit…
Voir l’épisode précédent.
L’évasion des Pandavas
Pendant que le palais de laque flambait comme une allumette, les Pandavas s’échappèrent sans que personne n’en ait connaissance. En sortant du tunnel creusé par un ami de leur oncle Vidoura, ils aperçurent, non loin de là, un batelier leur faisant signe de monter à bord de son embarcation. Il s’agissait d’un autre envoyé de Vidoura chargé de leur faire traverser le Gange pour faciliter leur fuite. Parvenus sur l’autre rive, les Pandavas remercièrent chaleureusement le batelier et lui demandèrent d’informer leur oncle qu’ils se dirigeaient maintenant vers le sud.
Le puissant Bhima fit monter sa mère sur ses épaules, les jumeaux Nakoula et Sahadéva à sa gauche et à sa droite, Youdhishthira et Arjuna sur ses bras, et se mit à courir dans l’obscurité. Le fils de Vayou, dieu du vent, courait à la vitesse même de l’air, brisant sur son passage arbres et buissons. Chacun de ses pas faisait trembler la terre, et le mouvement de ses cuisses créait un déplacement d’air semblable à un ouragan. En vérité, si grande était sa puissance que ses frères et sa mère s’évanouirent presque.
Courant ainsi pendant des heures et des heures, l’infatigable Bhima couvrit plusieurs dizaines de kilomètres avant de s’arrêter dans une forêt vierge et sombre. Une forêt dénuée d’eau potable et de fruits où résonnaient d’horribles cris d’oiseaux et de bêtes sauvages. Le vent y soufflait si violemment qu’il fracassait les branches d’arbres tout autour des voyageurs de fortune.
Accablés par la faim, la soif et la fatigue, Kounti et ses fils s’allongèrent à même le sol pour dormir. Sauf Bhima, qui resta éveillé afin de protéger sa mère et ses frères contre d’éventuels espions de Duryodhana ou, pire encore, tout être monstrueux habitant ces bois peu accueillants.
Douloureuse réflexion
Bhima jeta un coup d’œil sur les siens et ressentit en son cœur une vive douleur. Jusqu’à la nuit dernière, ils avaient toujours dormi dans des draps de soie et mangé ce qu’il y avait de mieux. Est-ce que la reine Kounti, épouse de l’illustre Pandou et fille du roi Shouraséna, méritait de dormir sur la terre ferme? Est-ce que la sœur de Vasoudéva et la mère des Pandavas méritait une simple couche de feuilles mortes? Cette vision remplit de tristesse le cœur de Bhima. Là se trouvait Youdhishthira, le fils de Yamaraja, allongé sur le sol. Méritait-il un sort semblable? N’était-il pas digne de régner sur les trois mondes? Arjuna, le plus grand archer de tous les temps, méritait-il de dormir par terre, comme un homme ordinaire? Nakoula et Sahadéva, qui ressemblaient à des dévas, méritaient-ils la souillure du sol dénudé?
Bhima se mit alors à parler comme si Duryodhana et ses frères étaient présents devant lui:
— Vous, les fils de Dhritarashtra, n’avez aucun sens de l’honneur! Quelles crapules vous êtes! Jouissez de votre opulence éphémère tant que vous le pouvez. Vous n’êtes encore en vie que parce que Youdhishthira ne m’ordonne pas de vous tuer. S’il me le demandait, je vous enverrais tous aujourd’hui même visiter la demeure du prince des ténèbres!
S’entendant prononcer ces paroles, Bhima aux bras puissants serra les poings, haletant de colère. Puis il continua de veiller sur sa mère et ses frères, à l’affût de tout danger.