La série consacrée à l’épopée du Mahabharata racontée par Normand Vanasse se poursuit…
Voir l’épisode précédent.
Le palais de laque
Tandis que Dhritarashtra manigançait pour inciter les Pandavas à se rendre à Varanavata, Duryodhana avait sollicité la complicité d’un de ses conseillers pour écarter définitivement ses glorieux cousins:
— Ô Pourochana, je suis destiné à gouverner le monde, et j’aimerais t’avoir à mes côtés lorsque ce jour viendra, car tu es le seul conseiller en qui j’ai confiance. Il va d’ores et déjà de notre intérêt de protéger la Terre; c’est pourquoi je te demande de m’aider à supprimer nos ennemis. Mon père a demandé aux Pandavas de se rendre à Varanavata, et je veux que tu y construises un palais digne de les accueillir, si ce n’est qu’il doit être hautement inflammable. Pour ce faire, assure-toi d’imprégner les murs de beurre clarifié, d’huile, de résine et de laque en grande quantité. Dote ce palais d’une architecture remarquable, et prie humblement les Pandavas d’y établir leur résidence à leur arrivée. Lorsqu’ils y seront confortablement installés avec leur mère, tu n’auras plus qu’à y mettre le feu pour que nous en soyons à jamais débarrassés.
Fidèle à son perfide maître et alléché par sa promesse, Pourochana s’empressa d’aller à Varanavata pour y accomplir sa sinistre tâche.
Bienveillante intervention
Pendant que les Pandavas et leur mère se préparaient à quitter Hastinapoura, Vidoura s’adressa à Youdhishthira dans un langage qu’eux seuls pouvaient comprendre.
— Celui qui connaît les plans de son ennemi doit tout faire pour éviter la catastrophe. Celui qui connaît la nature des armes meurtrières qui ne sont faites ni d’acier ni d’aucune autre matière solide et qui sait comment s’en prémunir, celui-là n’aura aucun mal à survivre. Celui qui sait que ce qui consume la paille et le bois ne peut atteindre les hôtes d’un trou creusé dans la terre, celui-là verra, demain encore, le soleil se lever. Sois alerte, et souviens-toi de mes paroles. Puissent les étoiles guider votre voyage.
— J’ai bien compris ton message, lui répondit Youdhishthira.
Kounti demanda alors à son fils:
— De quoi parliez-vous, toi et Vidoura? Personne ne comprenait votre jargon.
— Notre oncle Vidoura m’a prévenu que le palais qui nous attend serait construit de matériaux inflammables. Il m’a aussi fait part d’un moyen d’évasion, et je lui ai dit que j’avais bien compris son message.
Voués aux flammes
Les Pandavas firent route sans encombre jusqu’à Varanavata, où ils furent accueillis dans l’allégresse par des milliers de citoyens honorés de les rencontrer. On leur fit visiter la ville, puis l’ignoble Pourochana leur fit voir le palais de laque qu’il avait construit pour eux.
Youdhishthira inspecta le palais, puis se confia à Bhima:
— Ô vainqueur des ennemis, cette demeure est on ne peut plus inflammable. On l’a construite de paille et de bambou, et enduite de résine, d’huile et de ghi. Pourochana y vivra avec nous et attendra le moment opportun pour y mettre le feu et nous réduire en cendres avant même que nous puissions réagir. J’ai appris du bienveillant Vidoura, notre oncle, que Duryodhana avait précisément fait construire ce palais pour que nous y mourions tous.
— Si tel est le cas, nous devons nous établir ailleurs dans la ville.
— Je crois plutôt que nous devrions tout de même vivre ici, mine de rien, tout en restant sur nos gardes. Si Pourochana s’aperçoit que nous avons percé son plan, il tentera peut-être de brûler le palais sur-le-champ. Et si nous fuyons, Duryodhana tentera sûrement de nous faire assassiner par ses espions. Laissons-lui donc croire que nous avons péri par le feu, alors que le moment venu, nous nous serons évadés.
Une aide salutaire
Peu de temps après, un mineur ami de Vidoura vint visiter les Pandavas et s’entretint en privé avec Youdhishthira.
— Je suis envoyé par votre oncle pour vous aider. Pourochana compte mettre le feu à cette demeure dans les mois à venir selon un plan conçu par Duryodhana, quatorze jours après la nouvelle lune. Vidoura et toi avez un jour, avant votre départ, échangé des propos dans un langage que vous seuls connaissez. Je t’en fais part pour te prouver que je suis vraiment envoyé par votre oncle.
— Je sais que tu es un fidèle ami de notre oncle Vidoura et que tu connais bien les techniques d’excavation du sol. Le fait est que ce palais est construit de matériaux facilement inflammables et qu’on n’y trouve très peu d’issues. J’aimerais donc que tu creuses un tunnel entre le centre de cette demeure et la rive du Gange. Mes frères et moi passerons nos journées à chasser dans la forêt avec l’ignoble Pourochana, de sorte qu’il n’aura pas connaissance de tes travaux. Assure-toi néanmoins de bien recouvrir le sol pour que personne ne détecte le tunnel.
Le mineur se mit au travail dès le lendemain, et les Pandavas se rendirent comme convenu dans la forêt pour y chasser jour après jour en compagnie de Pourochana, affichant un air satisfait. Et ce, durant une année entière. L’architecte de malheur fut quant à lui ravi de voir ses victimes écouler joyeusement leurs jours dans son palais, sans le moindre soupçon.
Constatant le bonheur de leur hôte, Youdhishthira parla ainsi à ses frères:
— Nous avons bien déjoué jusqu’ici le cruel Pourochana. Le temps est maintenant venu de nous échapper. Incendions nous-mêmes le palais et laissons-y mourir le vil acolyte de Duryodhana. Nous quitterons ensuite les lieux, à l’insu de tous.
Qui vit pour le feu périra par le feu
Youdhishthira organisa alors une grande fête dans le palais de laque. À la fin de la soirée, après le départ des invités, Pourochana, ivre, s’endormit sur le sol. Une pauvre femme et ses cinq fils, venus à la fête dans l’espoir d’y obtenir la charité, gisaient également par terre, ivres et inconscients. La nuit étant tombée, un vent violent se leva soudain, et Youdhishthira ordonna à Bhima d’incendier la demeure. Son cadet s’exécuta en commençant par la pièce où dormait Pourochana, pour ensuite mettre le feu aux autres. En un rien de temps, tout le palais fut la proie des flammes.
Les Pandavas et leur mère Kounti s’échappèrent alors par le tunnel qu’avait creusé pour eux le mineur envoyé par leur oncle Vidoura. Au bout du long couloir souterrain, ils se trouvèrent sur les rives du Gange, et purent voir au loin le feu dévorant le palais maudit.
La chaleur intense qui se dégageait du brasier réveilla bientôt les habitants de la ville. Voyant le palais ravagé par les flammes, les citoyens, la mort dans l’âme, exprimèrent amèrement leur pensée:
— Le cruel Pourochana, à la solde de Duryodhana, a construit ce piège funeste. Dhritarashtra l’a voulu ainsi. Son cœur baigne dans le vice, et c’est lui qui a causé la mort des fils de Pandou, dont la vertu était sans faille.
Lorsque les flammes s’apaisèrent, les citoyens éteignirent complètement le feu pour ensuite fouiller les cendres, où ils trouvèrent le corps calciné de Pourochana ainsi que ceux de la mendiante et de ses cinq fils. Persuadés qu’il s’agissait de Kounti et des Pandavas, les citoyens de Varanavata eurent la certitude que le vil roi aveugle avait donné son aval au plan diabolique de Duryodhana pour exterminer les valeureux héritiers de Pandou. Il ne leur restait plus qu’à dépêcher un messager pour lui annoncer que les cinq frères et leur mère avaient été brûlés vifs.