La série consacrée à l’épopée du Mahabharata racontée par Normand Vanasse se poursuit…
Voir l’épisode précédent.
Dhritarashtra se ravise
Un an après la capture de Droupada par les disciples de Dronacharya, le roi Dhritarashtra estima que le moment était venu de préparer Youdhishthira à monter sur le trône et à devenir l’empereur du monde. La fermeté, la patience, la courtoisie et l’honnêteté de ce dernier eurent d’ailleurs tôt fait de gagner le cœur des habitants de la Terre. Il ne lui fallut guère de temps non plus pour dépasser les exploits de son illustre père, le roi Pandou.
Bhimaséna, le deuxième fils de Pandou, devint l’élève de Balaram, le frère du Seigneur Krishna, et apprit de lui à parfaire l’art d’utiliser la masse et l’épée. Lorsque sa formation fut achevée, nul n’eût pu surpasser ses prouesses herculéennes, à l’exception, bien sûr, du tout-puissant Balaram. Arjuna, le troisième fils de Pandou, jouissait déjà, quant à lui, d’une renommée mondiale grâce à son incomparable maîtrise de l’archerie. Sahadéva acquit pour sa part la science des vertus morales et des devoirs prescrits auprès du sage Brihaspati, tandis que Nakoula devint un célèbre guerrier.
Les cinq Pandavas assujettirent tous les souverains du monde, et leur influence s’étendit jusqu’au moindre recoin de Bharatavarsha, le nom que portait la Terre à cette époque. Au fur et à mesure qu’il eut vent de leurs hauts faits, les sentiments de Dhritarashtra à l’égard des fils de son frère Pandu commencèrent toutefois à changer. C’est qu’en plus d’être aveugle de naissance, Dhritarashtra l’était aussi spirituellement. L’envie s’empara donc de lui, tant et si bien qu’il en vint à vouloir étouffer l’éclat dont brillaient les Pandavas.
Malicieuse influence
Il fit appeler un de ses ministres, un diplomate aguerri, et lui dit:
— Ô meilleur d’entre les brahmanas, l’influence et le pouvoir des Pandavas augmente de jour en jour; j’en suis jaloux. Je te prie donc de me dire si je dois m’efforcer de vivre en paix avec eux, ou plutôt leur faire la guerre? Quel qu’il soit, je suivrai ton conseil.
Le ministre était toutefois de nature perverse, et c’est en ces termes qu’il répondit au roi aveugle:
— Entends mes paroles, ô roi, et retiens ta colère. Si quelqu’un devient ton ennemi, fût-il un fils, un ami, un frère, un père, voire un maître spirituel, il faut l’écarter d’une façon ou d’une autre, soit par malédiction ou quelque pouvoir surnaturel, soit par le feu ou le poison. Ne révèle surtout pas tes sentiments à l’ennemi. Parle-lui gentiment, offre-lui des présents, puis au moment où il s’y attend le moins, frappe-le de façon qu’il ne se relève plus jamais. Je ne peux, ô roi, que te conseiller de te protéger des fils de Pandou, car ils sont plus puissants que tes propres fils. Mais agis de façon à n’éveiller aucun soupçon en eux.
Dhritarashtra retourna dès lors en son esprit les propos de son ministre, et n’eut de cesse de chercher le meilleur moyen de se débarrasser de ces princes qui portaient ombrage à son propre lignage.
Le complot se met en branle
Les citoyens d’Hastinapoura étaient tous ravis à l’idée d’avoir pour monarque le vertueux Youdhishthira. Sur les places de marché, dans les demeures et dans les champs, on chantait partout les gloires des Pandavas. Les propos élogieux des citoyens à l’égard de ses cousins rendaient cependant Duryodhana de plus en plus triste et déprimé. Rongé par la haine, il se rendit au palais de Dhritarashtra pour lui faire part de ses angoisses.
— Père, j’ai vu et entendu combien les citoyens affectionnent les Pandavas. Ils accueillent favorablement le règne de Youdhishthira. Mais qu’adviendra-t-il de nous avec lui sur le trône? Moi, mes frères et nos enfants ne pourrons qu’être exclus à tout jamais de la lignée royale. La pensée d’un tel sort m’est insupportable. Nous devrions donc agir sans tarder et prendre nous-mêmes la tête du royaume pour attirer la sympathie de la population sur nous plutôt que sur les Pandavas.
Ce plaidoyer de son fils adoré ne pouvait bien sûr qu’attiser le ferment des visées de Dhritarashtra. Il conçut donc, avec l’aide de Duryodhana, un plan diabolique pour faire disparaître une fois pour toutes les fils de Pandou. En commençant par les éloigner de la capitale.
À la demande du roi, certains de ses conseillers entreprirent, un jour d’assemblée, d’encenser la cité de Varanavata. Ils vantèrent sa beauté et la vertu de ses citoyens, et en entendant les descriptions qu’on faisait de cette ville, les Pandavas exprimèrent le désir de s’y rendre.
Voyant les Pandavas mordre à l’appât, Dhritarashtra ne manqua pas de renchérir:
— Puisque vous aspirez à visiter cette merveilleuse cité, pourquoi n’iriez-vous pas y passer du bon temps avec vos proches. Profitez-en pour faire la charité aux brahmanas et aux citoyens, goûtez les délices de cette ville pendant quelque temps, puis revenez à Hastinapoura.
Youdhishthira soupçonnait les motifs de son oncle aveugle, mais il n’avait aucune raison de ne pas accéder à sa requête. Avec la permission des aînés de la dynastie Kourou, il prit la route de Varanavata avec ses frères et leur entourage.