La série consacrée à l’épopée du Mahabharata racontée par Normand Vanasse se poursuit…
Voir l’épisode précédent.
Une offrande pour Drona
Conscient de l’expertise qu’avaient développée ses disciples dans le maniement des armes, Dronacharya voulut leur donner l’occasion de lui exprimer leur gratitude par une offrande tangible. Il les rassembla donc et leur dit:
— Allez capturer Droupada, le roi des Pañcalas, et amenez-le-moi. Ce sera là votre rétribution pour la science que je vous ai transmise.
Pour un rappel des événements justifiant cette demande, voir l’épisode 10.
Tous les étudiants acquiescèrent à la requête de leur maître d’armes et montèrent aussitôt sur leur char respectif. Ils approchèrent ensemble de la capitale de Droupada et entreprirent de l’assiéger, conduits par Duryodhana. Chacun aspirait à être le premier à capturer Droupada. Quant à ce dernier, il ne pouvait tolérer que les Kourous attaquent ainsi son royaume. Il monta sans tarder sur son char pour les affronter.
Avant que débute la bataille, Arjuna se dit inquiet de la vanité de Duryodhana et de ses frères, et il en fit part à Drona, qui avait accompagné ses disciples dans cette expédition:
— Nous nous abstiendrons de combattre jusqu’à ce que Duryodhana ait fini d’exhiber sa prouesse. Ni lui ni ses frères ne parviendront à s’emparer du roi des Pañcalas dans cet esprit.
Vaine vanité
Arjuna et ses frères se retirèrent alors hors de la ville. Pendant ce temps, Droupada se mit à lancer des centaines de flèches puissantes sur l’armée des Kourous, à tel point que ces derniers avaient l’impression d’avoir affaire à plusieurs Droupada. Duryodhana et ses troupes ripostèrent en lançant eux aussi des pluies de flèches en direction de l’ennemi, mais Droupada n’en fut pas pour autant touché; au contraire, il redoubla de vigueur, si bien que les Kourous durent battre en retraite.
Témoins de la scène, les Pandavas se préparèrent à leur tour à engager le combat. Arjuna demanda à l’aîné, Youdhishthira, de rester à l’écart, tandis que les deux fils de Madri protégeraient les roues de son char. Bhima, masse en main, se rua quant à lui vers le camp ennemi, tuant au passage les éléphants de combat d’un seul coup de son arme fracassante. Les pachydermes barrissaient puis s’effondraient au sol, la tête en morceaux. Bhima se mit ensuite à décimer chevaux, chars et fantassins, toujours avec sa masse invincible, et il contrôla bientôt l’armée de Droupada aussi facilement qu’un pâtre mène ses vaches au bâton.
Pendant ce temps, Arjuna, soucieux de combler le vœu de son maître, attaqua Droupada avec une pluie de flèches qui le fit tomber de sa monture. Puis, il abattit à son tour des milliers de guerriers et d’animaux de combat. Les Pañcalas parvinrent malgré tout à tenir tête à Arjuna, et la lutte devint extrêmement serrée, terrible à regarder. On ne pouvait observer aucun intervalle entre les flèches qu’Arjuna plaçait sur son arc et celles qu’il décochait.
Arjuna finit par s’approcher de Droupada afin de le capturer, mais il en fut empêché par Satyajit, le commandant en chef de l’armée des Pañcalas, l’un et l’autre se transperçant mutuellement de dizaines de flèches. Au terme d’un duel sans merci, Arjuna lança une flèche qui brisa l’arc de Satyajit en deux. Celui-ci empoigna aussitôt un autre arc, mais en un éclair, Arjuna le fendit, fracassa le char et tua les chevaux ainsi que le conducteur du char de son adversaire. Voyant tous ses efforts neutralisés, Satyajit n’eut d’autre choix que de rendre les armes.
L’offrande promise
Droupada lança alors des nuées de flèches en direction d’Arjuna, mais ce dernier rompit l’arc du monarque et transperça de cinq flèches le conducteur de son char. Il sauta enfin sur le char de Droupada et s’empara de lui aussi facilement que l’aigle Garuda attrape un serpent, tandis que l’armée des Pañcalas fuyait en déroute. Arjuna lança un cri de victoire et demanda à son frère Bhima de cesser le combat, lequel s’exécuta à contre-cœur, laissant lourdement tomber sa masse.
Arjuna amena enfin Droupada à Dronacharya, que rongeait encore le souvenir d’avoir été humilié par lui dans le passé. Il lui dit alors:
— Je viens de m’emparer de ton royaume et de ta capitale, mais ne crains pas pour ta vie. Je veux simplement que nous retrouvions notre amitié. Un jour, tu m’as dit que seul un roi pouvait être l’ami d’un autre roi; c’est pourquoi je te donnerai la moitié du royaume. Et si le cœur t’en dit, nous serons de nouveau amis.
— Tu es un brahmana extrêmement puissant, plus encore qu’un kshatriya, répondit Droupada. C’est pourquoi je ne suis pas surpris de l’ampleur de tes exploits. Je suis fier de toi, et souhaite rester ton ami pour toujours.
Drona relâcha alors Droupada, qui s’en alla régner sur sa moitié du royaume, désormais convaincu que jamais il ne pourrait vaincre son vieil ami par la seule force des armes. Il parcourut néanmoins la Terre entière en quête d’une épouse pouvant lui donner un fils capable de tenir tête à Drona, et une fille digne d’épouser Arjuna. Il avait en effet grandement apprécié la force et la dextérité d’Arjuna, et en était venu à la conclusion que nul archer au monde ne parviendrait jamais à l’égaler. Aussi désirait-il unir les deux familles par les liens du mariage.