Comme nous l’avons vu dans «L’improbable probabilité de la vie», les recherches scientifiques les plus poussées en la matière soulignent l’impossibilité que la vie naisse fortuitement d’un assemblage d’éléments matériels, fût-ce au terme de milliards d’années d’évolution. Mais qu’en est-il de l’univers en soi, exclusion faite du vivant? Comment expliquer son origine et son fonctionnement? Se pourrait-il que le hasard fasse aussi bien les choses qu’on aimerait le croire?
La prémisse est simple. Tout le monde s’entend pour dire que l’univers n’est en réalité qu’un gros paquet d’atomes. L’énigme, elle, prête aux interprétations les plus variées et les plus fantasques. D’où viennent ces atomes? Comment ont-ils bien pu s’assembler pour former les 118 éléments dont l’univers est constitué? Et comment ces éléments en sont-ils venus à leur tour à s’agencer de manière à assurer le fonctionnement de l’univers tel que nous le connaissons?
Un premier réflexe consiste à tenter de résoudre l’énigme en faisant appel à nos connaissances en chimie et en physique pour expliquer la genèse et le comportement de la matière.
Les différentes réactions chimiques possibles sont en effet aujourd’hui bien connues, et les lois de la physiques sont somme toute suffisamment simples pour être à la portée de tout étudiant un tant soit peu intelligent. Il suffit de quelques manuels de synthèse pour en faire le tour. Leur simplicité et leur élégance est telle que plusieurs scientifiques de renom en sont venus à la conclusion que Dieu devait être un mathématicien.
Vingt nombres dont tout dépend
La preuve irréfutable de cette simplicité désarmante tient à ce que nous savons désormais que la genèse, l’évolution et le fonctionnement de l’univers dépendent d’une vingtaine de nombres seulement!
Je laisse aux curieux le soin de faire les recherches voulues pour mieux comprendre ces nombres, mais sans entrer dans les détails, je vais ici me contenter de dresser la liste des plus importants à titre indicatif:
- la force de gravitation
- la force électromagnétique
- la force nucléaire
- la vitesse de la lumière
- la constante de Planck (qui relie l’énergie des photons à leur fréquence)
- la constante de Boltzmann (qui permet de traduire la température en énergie thermique)
- la charge du proton et de l’électron
- la masse du proton, du neutron et de l’électron
- la densité de masse-énergie de l’univers
- la vitesse d’expansion de l’univers
- la constante cosmologique (qui fixe la courbure de l’univers)
Il s’agit dans tous les cas de nombres complexes pouvant avoir jusqu’à 50 décimales, lesquelles ont pu être déterminées avec un haut degré de précision. Mais bien que ces nombres soient complexes, la simplicité des lois de l’univers n’en tient pas moins au fait que cette poignée de nombres est à elle seule entièrement responsable de l’existence, du fonctionnement et de l’évolution de l’univers. Leur valeur est immuable, et il a fallu qu’elle le soit dès la naissance de l’univers, sans quoi il n’aurait jamais existé.
Le fait de le savoir ne résout toutefois pas notre énigme. D’où sortent ces nombres? Sont-ils le fruit du hasard ou sont-ils plutôt l’œuvre d’un mathématicien créateur hautement savant?
Premièrement, la probabilité que la valeur d’une précision inouïe de chacun de ces nombres se soit fixée de façon tout à fait fortuite, alors qu’elle est de l’ordre de 1 chance sur des dizaines, voire des centaines de milliards, est pour ainsi dire nulle. Quand à la probabilité que les valeurs de tous ces nombres réunis agissent de concert tout à fait par hasard de manière à assurer l’existence et le fonctionnement de l’univers, elle dépasse toute logique et toute forme d’entendement. C’est un peu comme si, n’ayant qu’une chance sur des millions de gagner à la loterie, vous remportiez le gros lot vingt fois de suite!
Aucune erreur permise
Comme si ce n’était pas assez, il est démontré que si une seule décimale d’un seul de ces nombre était autre que ce qu’elle est, tout l’édifice s’effondrerait – l’univers serait réduit à néant!
À titre d’exemple, c’est la force de gravitation conjuguée aux propriétés mécaniques et thermodynamiques de l’hydrogène qui permet l’existence des étoiles. Si la gravité était plus faible, aucune boule de gaz assez volumineuse pour déclencher une réaction nucléaire ne se formerait. Et si la force de gravitation était plus grande, les étoiles imploseraient aussitôt formées pour devenir des trous noirs.
Or, certains éléments du tableau périodique ne se forment que dans la fournaise nucléaire des étoiles pour ensuite être relâchés dans l’espace par l’explosion de supernovas. Et sans ces explosions, les ingrédients nécessaires à la formation de planètes habitables et d’organismes vivants n’existeraient tout simplement pas.
Et que dire du fait que tous les électrons de l’univers ont exactement la même charge, et que tous les protons de l’univers ont exactement la même charge opposée? Si ce n’était pas le cas, aucune molécule biologique ne pourrait exister.
Pour reprendre les mots de George Smoot, prix Nobel de physique:
«À y regarder de plus près, le Big Bang, l’événement le plus cataclysmique que nous puissions imaginer, nous apparaît comme étant finement orchestré.»
Les rides du temps, Flammarion, 1994.
Je laisserai le soin de conclure à Brian Greene, professeur de physique et de mathématiques à l’Université Columbia et spécialiste émérite de la théorie quantique des cordes, qui disait dans une entrevue accordée l’an dernier à la revue Time:
«Nous connaissons les nombres qui caractérisent le poids de l’électron, la force de gravitation, la force du champ électromagnétique, etc. – une vingtaine de nombres qui régissent entièrement le fonctionnement de notre univers. Mais personne ne sait pourquoi ces nombres ont les valeurs particulières qu’ils ont. Or, même le plus minime changement de ces valeurs causerait la disparition du monde que nous connaissons. Beaucoup y voient la preuve d’un concepteur, et peut-être y a-t-il effectivement un être divin, un Dieu extérieur à l’univers qui a fixé avec précision la valeur de ces nombres – la seule valeur qu’ils peuvent avoir pour que nous puissions exister. Mais certains scientifiques comme moi ne sont pas encore prêts à l’accepter.»
Autrement dit, nul ne peut faire la démonstration absolue de la réponse à notre énigme, que ce soit dans un sens ou dans l’autre. Il appartient donc à chacun de tirer ses conclusions sur la base des faits.