Dans la série «Les neuf clés de la bhakti».
Voir les volets précédents.
Cette cinquième clé de la bhakti porte sur le culte du sacré et l’adoration du Divin dans une forme personnelle visible à nos yeux, techniquement appelée mourti ou forme archa. Après l’écoute (shravana), le chant (kirtana), le souvenir (smarana) et l’humble mise de soi au service de l’Absolu (pada sevana), voici donc l’archana.
«Dieu est partout», enseignait-on dans les écoles confessionnelles il n’y a pas si longtemps encore. Bien qu’il se trouve en son royaume des cieux, expliquait-on, il voit tout et entend tout. Par sa puissance inconcevable, il est simultanément présent en nous et partout autour de nous.
De nos jours, bien que l’adhésion aux traditionnels enseignements religieux ait périclité, beaucoup de gens, mais alors vraiment beaucoup continuent de voir Dieu partout! Ils le dépersonnalisent toutefois complètement. Pour éviter de s’aventurer en zone inconnue ou en eaux troubles, ils préfèrent l’appeler la Lumière, ou l’Univers, et l’invoquent à toutes les sauces. «Fais confiance à l’Univers!», peut-on lire et entendre un peu partout. Ou encore: «Laissons entrer la Lumière en nous.»
Les Védas expliquent qu’il existe bel et bien un aspect impersonnel de l’Absolu, soit la radiance infinie qui en émane, communément appelée le Brahman. Et que tout être et toutes choses baignent dans cette lumière, y compris l’univers dans lequel nous vivons. Mais ni cette lumière ni l’univers en soi n’ont une identité propre ou une quelconque forme d’interaction directe avec nous, et nous ne pouvons entretenir avec eux aucun rapport particulier. C’est pourquoi les bhakti-yogis privilégient l’invocation, la glorification et la révérence du Divin dans l’une ou l’autre de ses formes personnelles.
Le Divin à la portée de tous
Le Hari-bhakti-vilasa décrit huit matériaux dans lesquels la forme originelle du Seigneur des seigneurs peut être représentée. Ainsi peut-elle être sculptée dans le bois, la pierre ou le métal, modelée dans le sable ou l’argile, façonnée de joyaux, peinte sous forme d’icône ou de tableau, ou encore reproduite sous forme d’image mentale.
Tandis que certains rendent un véritable culte à leur chien ou à leur chat, à leur voiture ou à leur idole, le bhakta cultive sciemment la conscience divine en vouant son adoration à une représentation évocatrice de l’Absolu dans sa forme personnelle. Les profanes n’y voient qu’une forme d’idolâtrie, mais les Écritures révélées sanctionnent et promeuvent ce moyen d’échange concret avec le Divin sous la direction d’un maître spirituel compétent.
Pour le bhakta, tout est sacré. Il n’en distingue pas moins le caractère sacré de la nature, des êtres et de tout ce qui l’entoure, de la représentation sacrée du Divin. Désireux de rétablir la relation intime qui nous unit tous au Suprême, c’est avec joie qu’en cette vie même, il offre à la mourti de l’encens, des lampes, des fleurs, divers atours et même de la nourriture, avec amour et dévotion.
Il va sans dire que le Divin, et encore moins sa représentation dans un matériau quelconque, n’a besoin de nourriture ou de quelque autre offrande. Comme l’enseigne la Bhagavad-gita, il accepte toutefois de bon gré les offrandes qu’on lui fait, et les sanctifie de son regard pour que son dévot soit à son tour sanctifié en en partageant les reliefs.
«Que l’on m’offre avec amour et dévotion une feuille, une fleur, un fruit ou de l’eau, cette offrande, Je l’accepterai.»
Bhagavad-gita 9.26
Entre bonnes mains
Ces notions sont pour le moins ésotériques pour le commun des mortels. Les spiritualistes qui cherchent à réaliser l’Absolu non seulement sous son aspect vaguement diffus à travers la création, mais aussi dans sa forme personnelle, éternelle, omnisciente et bienheureuse, ont toutefois beaucoup à gagner à explorer les facettes du bhakti-yoga et à en utiliser les clés pour approfondir leur connaissance du Divin.
Puisque tout est sacré aux yeux d’un spiritualiste accompli, pourquoi servir et vénérer une forme archa de l’Absolu plutôt qu’un arbre, un rocher ou tout autre objet? Parce que le Bienheureux lui-même affirme accueillir les offrandes qui lui sont faites à travers cette représentation personnelle de lui. En guise de comparaison, si je désire faire parvenir un envoi à un être cher, j’ai tout intérêt à utiliser une boîte aux lettres de la société des postes ou un service de messagerie reconnu. Mon envoi n’a aucune chance de parvenir à destination si je le dépose dans n’importe quelle boîte ou si je le confie à un simple passant.
Les actes de dévotion empreints d’amour envers les formes archa dans un lieu de culte ou dans l’intimité de son foyer s’accompagnent d’offrandes variées, de mantras et souvent même de chants et de danses. Le tout crée une atmosphère spirituelle des plus joyeuses, contribue grandement à purifier les sens et le mental du bhakta, et favorise directement le rétablissement de sa relation latente avec le Divin.