Dans la série «Les neuf clés de la bhakti».
Voir les volets précédents.
L’échange d’amitié joue depuis toujours un rôle majeur dans les relations humaines. Nos amis proches sont souvent les personnes avec lesquelles nous partageons nos joies et nos peines les plus intimes. Celles auxquelles nous confions nos secrets, avouons nos craintes et demandons conseil. Nos vrais amis sont toujours prêts à nous aider, et nous leur rendons la pareille. L’amitié se révèle en fin de compte un cadeau très précieux pour tous ceux et celles qui ont le bonheur d’en faire l’expérience.
Compte tenu de tout ce qu’il apporte, il n’est pas étonnant de retrouver l’échange d’amitié (sakhya en sanskrit) dans l’arsenal des bhakti-yogis. Dans le cadre d’une démarche spirituelle, cette forme d’échange devient en effet une source inestimable non seulement de soutien et de partage, mais aussi de connaissances et de réalisations.
Les bhaktas qui se lient d’amitié s’encouragent mutuellement dans leur pratique du yoga. Ils s’entraident à surmonter les obstacles qui ne manquent pas de se dresser sur la voie de la réalisation spirituelle. Et en partageant leurs expériences personnelles, ils s’inspirent les uns les autres à élever leur niveau de conscience au-delà des contingences matérielles qui ont tendance à perpétuer notre asservissement à nos sens et à notre mental.
Une relation naturellement réciproque
Le but du yoga étant de ré-unir l’âme à sa source, cette huitième clé de la bhakti vise plus précisément à rapprocher toujours plus le dévot de l’aspect personnel de l’Absolu. Ainsi, au-delà des rapports amicaux qu’il échange avec ses confrères et ses consœurs, le bhakta s’emploie à voir en Dieu lui-même son ami le plus cher.
Le sachant présent en son cœur sous la forme du Paramatma – l’Âme suprême –, il s’efforce de rester à son écoute et de suivre les indications qu’il lui donne pour rester en lien avec lui (la petite voix intérieure, ça vous dit quelque chose?). Il le prie en outre de lui accorder la vision, l’intelligence, le savoir-être et le savoir-faire nécessaires pour mieux le servir et se montrer à la hauteur de son amitié.
Un verset de la Bhagavad-gita décrit d’ailleurs très bien le lien qui unit le Bienheureux à son dévot:
«Je ne favorise ni ne défavorise personne; envers tous je suis impartial. Quiconque me sert avec amour et dévotion est toutefois un ami pour moi, comme j’en suis un pour lui.»
Bhagavad-gita 9.29
Il s’agit en effet d’une relation réciproque, et les textes védiques – notamment le Shrimad-Bhagavatam – relatent en maints endroits les différentes formes que peut prendre cette réciprocité.
Une relation d’abord et avant tout personnelle
Comme l’amitié repose sur l’échange et le partage, le bhakti-yogi ne fait pas que solliciter l’aide et l’appui du Paramatma. Il cherche constamment à se mettre à la disposition de son divin ami et à lui faire plaisir. Comment? En comblant son vœu le plus cher, qui est de voir revenir à lui toutes les âmes qui s’en sont éloignées par désir d’indépendance.
Le bhakta devient ainsi le bienfaiteur du Seigneur des seigneurs, et, ce faisant, il scelle avec lui une amitié d’une richesse et d’une profondeur inégalées. Ce qui lui vaut l’éternelle reconnaissance de ce dernier, comme le confirme la Bhagavad-gita:
«Nul, en ce monde, ne m’est plus cher que celui qui met tout en œuvre pour raviver la conscience divine des âmes oublieuses de leur relation avec moi.»
Bhagavad-gita 18.68-69
Un aspect notable de cette pratique dévotionnelle tient à ce qu’elle souligne le caractère on ne peut plus personnel et intime de la relation qu’entretient le yogi avec l’Absolu. Cette particularité du bhakti-yoga contraste fortement avec l’image de Dieu vengeur, de Créateur distant et détaché du monde, ou d’Entité impersonnelle et insaisissable que projettent et entretiennent certaines écoles de pensée davantage axées sur une philosophie nihiliste ou sur des pratiques rituelles que sur une spiritualité vivante à part entière.
Le bhakti-yogi a conscience du fait que l’univers matériel est à l’image du monde spirituel, que l’humain est à l’image du Divin, et que les rapports personnels que nous échangeons sur le plan terrestre ont aussi leur pendant sur le plan spirituel. Aussi s’applique-t-il ici même, en cette vie, à raviver son lien avec le Seigneur des seigneurs à travers l’une ou l’autre, ou l’ensemble des clés de la bhakti exposées dans les écrits védiques.