Dans la série des fables et maximes tirées de l’Hitopadesh et du Pancha-tantra…
Un jour, dans une forêt du sud, un vieux tigre, après s’être baigné dans un lac, s’assit sur la berge en tenant dans ses pattes une touffe d’herbe en signe d’humilité. Puis il se mit à haranguer les passants :
— Ô voyageurs, veuillez accepter ce bracelet en or que je vous offre en charité.
À ces mots, un voyageur avide de richesses pensa :
— La fortune me sourit; mais soyons méfiants, car il est dit :
Accepter un objet désirable provenant d’une source douteuse est certes mal avisé.
— Je ne devrais donc pas prendre ce bracelet. D’un autre côté, qui veut gagner de l’argent ne court-il pas toujours un danger? Comme le dit l’adage…
La bonne fortune évite la personne qui, égarée par ses doutes, ne prend jamais de risques.
Le voyageur se dit alors : « Mieux vaut d’abord examiner ce bracelet. »
— Où est le bracelet en question?
Le tigre tendit la patte afin de le lui montrer.
— Comment puis-je faire confiance à un animal féroce de ton espèce?
— Dans ma jeunesse, j’ai commis beaucoup de fautes en tuant des vaches et des humains, et le sort a voulu que j’en sois puni, car ma femme et mes fils sont morts, me laissant complètement seul. Or, un sage m’a récemment conseillé, pour me repentir, de faire du bien autour de moi. Je prends donc maintenant régulièrement un bain pour me purifier, après quoi je fais la charité. Par ailleurs, je me fais vieux, et aussi bien mes griffes que mes dents sont désormais très usées. Vous n’avez donc aucune raison de me craindre.
Qui plus est, s’il est vrai que la charité peut parfois relever de l’ostentation, la patience et l’absence d’avidité n’appartiennent qu’à des âmes magnanimes comme moi. Comme vous pouvez le constater, je suis tellement libre de cupidité que j’en viens à offrir mon précieux bracelet à un étranger.
Je comprends naturellement qu’il puisse être difficile pour les gens d’oublier que les tigres peuvent manger les hommes. Sachez toutefois que j’ai étudié les textes sacrés, où il est écrit…
La charité est vraiment utile quand elle est faite envers les pauvres.
C’est en en faisant l’expérience qu’on prend conscience des conséquences d’accepter ou de refuser la charité, tout comme c’est en les ressentant qu’on peut comprendre les sentiments de bonheur et de malheur.
— Je sais pour ma part que vous êtes très pauvre; c’est pourquoi je vous offre ce bracelet, car il est dit…
Soutiens les pauvres. La charité faite par devoir, sans rien attendre en retour, en temps et lieu appropriés et à qui en est digne, est dite être sous le signe de la vertu.
— Puisque je n’attends rien de vous en contrepartie, veuillez tranquillement prendre un bain et ensuite accepter en toute confiance le bracelet que je vous offre en charité.
À ces mots, le voyageur, submergé par la convoitise, crut le tigre sur parole. Alors qu’il s’approchait du lac pour s’y baigner, il s’enlisa cependant dans la boue, à tel point qu’il fut complètement immobilisé. Le voyant dans cet état, le tigre s’exclama :
— Oh mon Dieu, vous êtes pris dans la boue! Attendez, attendez, je vais vous aider!
Le tigre s’approcha lentement du voyageur et se saisit de lui. Le voyageur pensa alors en lui-même…
Même s’ils ont étudié les textes sacrés, ceux dont la nature est profondément mauvaise verront tôt ou tard cette nature refaire surface. On ne doit jamais accorder sa confiance à de telles personnes.
Les actes charitables d’une personne qui ne peut maîtriser ses passions sont comparables au bain de l’éléphant qui, en sortant de l’eau, se roule à nouveau dans la poussière.
— J’ai commis une grave erreur en faisant confiance à cet animal féroce, car il est dit…
On ne peut faire confiance à une rivière, à une personne armée, à un animal doté de griffes ou de cornes, non plus qu’à un politicien, car ils sont de nature instable.
La nature profonde d’une personne prédomine sur toutes les qualités ou les défauts qu’elle a pu acquérir dans sa vie. Il faut donc déterminer la vraie nature d’une personne, et non se fier aux qualités qu’elle peut momentanément afficher.
Alors qu’il pensait ainsi, le tigre attrapa le voyageur et le dévora.