Suite de la série historique consacrée à la théorie de l’invasion aryenne, échafaudée dans le but de minimiser l’importance de la culture et des textes védiques.
Voir le volet précédent.
Les failles – ou plutôt les trous béants – de la théorie de l’invasion aryenne de l’Inde ne sont pas mis en évidence que par la mise à nu des pierres de Harappa et des centaines d’autres villes et villages de la vallée de l’Indus. La technologie s’invite aussi à la fête!
Les textes védiques font mention d’un fleuve majestueux coulant de l’Himalaya jusqu’à la mer. Le Rig-véda en parle comme du plus important cours d’eau du sous-continent indien, et le cite à cinquante reprises. Dans d’autres écrits védiques, on lit que des sages s’assemblaient sur ses rives pour s’y entretenir de questions métaphysiques. Que les gens fréquentaient divers lieux de pèlerinage le long de son cours. Que des bateaux le sillonnaient jusqu’à l’océan ou le remontaient en partant de l’océan…
Mais où est donc ce fleuve que mentionne également le Mahabharata et plusieurs Puranas? Il est de nos jours parfaitement invisible. Les indianistes ont d’ailleurs été prompts à le déclarer mythique. Comme les Aryens étaient censés être venus d’Asie centrale pour s’établir dans le nord de l’Inde et y composer les Védas, il allait de soi qu’ils ne pouvaient avoir décrit une voie navigable s’étendant jusqu’à l’océan.
Soucieux de préserver leur théorie, les linguistes ont alors avancé que le mot sanskrit pour «océan» devait à l’origine avoir désigné tout plan d’eau important, et plus particulièrement l’Indus. L’invisible Sarasvati devait quant à lui être le fruit d’une envolée poétique évoquant un cours d’eau légendaire.
Des réponses venues du ciel
Dans leur quête des pièces manquantes pour reconstituer un passé cohérent et pour mieux comprendre la teneur des textes védiques, les archéologues ne comptent plus seulement sur leurs pelles. Ils font aussi appel aux satellites!
En 1972, la NASA lançait son programme Landsat dans le but d’utiliser des satellites pour effectuer un balayage des zones agricoles. Certains chercheurs ont par la suite eu recours à cette technologie pour localiser des ruines mayas dans les jungles du Yucatan ainsi que des structures préhistoriques dans les plaines de ce qui fut jadis la Mésopotamie.
Des images satellite de la NASA, mais aussi de l’ISRO (l’Organisation indienne de recherche spatiale), ont de même révélé que le fleuve Sarasvati avait bel et bien existé, et que sa largeur variait de trois à quatorze kilomètres. En 1990, cette découverte a été confirmée par un levé photoaérien de Landsat montrant le tracé du glorieux cours d’eau sur 1600 kilomètres entre l’Himalaya et la mer d’Arabie.
Le système de captation d’images multispectral et panchromatique (SPOT) mis au point en France par le Centre national d’études spatiales a par ailleurs révélé que le Sarasvati avait de nombreux affluents à même d’irriguer un immense territoire. Des canaux construits par l’homme et amenant l’eau jusqu’à des zones agricoles plus éloignées sont aussi visibles sur les clichés.
Une disparition éloquente
La datation au carbone 14 et les données aussi bien archéologiques qu’hydrologiques ont permis de déterminer que le fleuve Sarasvati s’est tari vers l’an 2000 avant notre ère, soit il y a 4000 ans. Dès lors, non seulement la découverte de cet important cours d’eau de l’antiquité védique a-t-elle contribué à valider les nombreuses références dont il fait l’objet dans la littérature sanskrite, mais la date de sa disparition prouve sans l’ombre d’un doute que les Védas ont été écrits avant cette date.
Et bien avant cette date, puisque dans tous les passages où il est mentionné, le fleuve est encore au sommet de sa gloire. Ce qui veut dire que les textes védiques offrent un regard sur la géographie du sous-continent indien telle qu’elle était bien avant 2000 ans av. J.‑C., alors que le Sarasvati coulait encore vigoureusement de l’Himalaya à la mer d’Arabie. Ce qui veut dire que la civilisation védique était déjà établie de longue date avant l’assèchement du fleuve. Ce qui veut dire – n’en déplaise une fois de plus au complexe de supériorité des théoriciens occidentaux des 18e, 19e et 20e siècles –, que la culture védique, avec sa littérature, ses arts, ses sciences et sa philosophie, est la plus ancienne culture vivante du monde!
Changements climatiques d’une autre époque
Les études sur le terrain et l’imagerie par satellite d’une équipe d’archéologues indo-française ont permis d’établir que des tronçons du fleuve Sarasvati avait commencé à se tarir autour de 3000 av. J.‑C., et que vers 2000 avant notre ère, il avait complètement disparu.
Comment donc de présumés Aryens censés être arrivés dans la région en 1500 av. J.‑C. et n’avoir commencé à écrire les textes védiques que 300 ans plus tard auraient-ils pu écrire les descriptions détaillées de ce fleuve majestueux et des royaumes jouxtant ses rives qu’on trouve dans le Rig-véda, le Yajur-véda, le Mahabharata, le Bhagavata Purana, le Vamana Purana et le Padma Purana?
Les recherches effectuées indiquent que l’assèchement du Sarasvati a été causé par une suite d’événements. La rivière Yamuna l’a d’abord privé de son eau en changeant de cours pour se jeter dans le Gange, plus à l’est. La rivière Sutlej a ensuite bifurqué vers l’ouest, et les fontes glaciaires ont diminué. Privé de ces deux affluents et de l’eau des glaciers, le fleuve s’est grandement affaibli, jusqu’à disparaître complètement sous l’effet de la grande sécheresse planétaire survenue entre 2200 et 1900 av. J.‑C.
C’est d’ailleurs le tarissement de ce cours d’eau majeur et la formation subséquente du désert du Thar qui auraient entraîné l’anéantissement de la civilisation harappéenne, les populations rurales et urbaines de la vallée de l’Indus ayant alors été contraintes d’abandonner la région. Ce qui veut dire qu’à l’époque où les Aryens si chers à nos linguistes sont censés avoir envahi le nord de l’Inde et détruit les cités de la région, ces dernières avaient déjà été désertées depuis des siècles. Les archéologues n’ont d’ailleurs trouvé aucun signe de destruction causée par l’homme.
À suivre…