Suite et fin de la série «Mystères et transcendance» consacrée à l’article de Jean-Claude Émériau paru dans la revue philosophique Matières à penser.
Voir le volet précédent.
«Comme un métal touché qui résonne et qui vibre,
Alphonse de Lamartine, La Chute d’un Ange – huitième vision, fragment du livre primitif, 1838
L’âme humaine au contact rend Dieu par chaque fibre.
La joie, et la douleur, et l’amour, n’ont qu’un son.
De notre âme, ô Seigneur! le timbre, c’est ton nom!»
La Revue des deux mondes, dans son numéro de janvier 1911, publie un texte d’Édouard Schuré intitulé «Le mystère de l’Inde». On y découvre alors une terre de mystères chargée d’histoire, un carrefour de traditions occultes qui en font la plus vieille civilisation du monde.
Schuré est émerveillé par ce peuple dont le passé très lointain domine encore le présent, à une époque où l’Occident, lui, a tendance à vouloir «renier son passé en sa fièvre d’invention, semblant vouloir le broyer sous la rage aveugle de ses machines». Constatant que l’Inde a su conserver à travers les âges «la science divine qui en est l’âme», il lui attribue «la mission providentielle de la répandre parmi les autres nations».
Au beau milieu du panthéon de dieux et de déesses vénérés avec ferveur par ce peuple aussi diversifié qu’insaisissable, et franchement hermétique pour l’œil occidental, Schuré souligne:
«L’importance de Krishna nous paraîtra plus grande encore, et d’un caractère vraiment universel, si nous remarquons que sa doctrine renferme deux idées mères, deux principes organisateurs des religions et de la philosophie ésotérique. J’entends la doctrine organique de l’immortalité de l’âme ou des existences progressives par la réincarnation, et celle correspondante de la trinité ou du verbe divin révélé dans l’homme.»
Schuré est fasciné par les ascètes du toit du monde, et n’hésite pas à croiser les récits védiques ou puraniques et ces puissants anachorètes, leur donnant un rôle de médium transparent entre les mondes visibles et invisibles.
Pour conclure, il est difficile de ne pas être séduit par son récit poétique de la descente du Gange en ce monde:
«Valmiki peint la Ganga tombant du haut du ciel sur l’Himalaya, à l’appel des plus puissants ascètes. D’abord, les Immortels se montrent dans toute leur splendeur et le ciel s’illumine à leur venue d’une clarté flamboyante. Puis le fleuve descend et l’atmosphère est toute pleine d’écumes blanches comme un lac argenté par une multitude de cygnes. Après avoir bondi de cascade en cascade, de vallée en vallée, la Ganga atteint la plaine. Les dieux la précèdent sur leurs chars étincelants; les dauphins et les nymphes célestes, les Apsaras, dansent sur ses flots. Hommes et bêtes suivent sa course majestueuse. Enfin elle gagne la mer, mais l’océan lui-même ne peut l’arrêter. La rivière sainte plonge jusqu’au fond des enfers, et les âmes se purifient dans ses flots pour remonter aux Immortels, image superbe de la sagesse primordiale, qui tombe des hauteurs du ciel et descend jusqu’aux entrailles de la terre pour lui arracher son secret.»
«Épreuve de l’esprit, énigme de bonté,
Alphonse de Lamartine, ibid.
Où la nature lutte avec la volonté,
Et d’où la liberté, qui pressent le mystère,
Prend, pour monter plus haut, son point d’appui sur Terre.»