Suite de la série «Mystères et transcendance» consacrée à l’article de Jean-Claude Émériau paru dans la revue philosophique Matières à penser.

Voir le volet précédent.

«La justice divine est féconde en mystère:
Ne la mesurez pas aux ombres de la terre;
L’éternelle clémence à ses décrets s’unit,
Et, même dans l’enfer, c’est l’amour qui punit!
»

Alphonse de Lamartine, La Chute d’un Ange – huitième vision, fragment du livre primitif, 1838

Comme l’explique Krishna dans la Bhagavad-gita:

«Il y a, d’après les Védas, deux façons de quitter ce monde: dans l’obscurité ou dans la lumière. L’une est la voie du retour en ce monde, l’autre la voie du non-retour.»

La Bhagavad-gita telle qu’elle est, A. C. Bhaktivedanta Swami, BBT, chapitre 8, verset 26.

Dans le Vishnou Purana, la voie des ténèbres est appelée pitri-yana, la voie des esprits, ou des ancêtres. Cette voie qu’empruntent les âmes pour leur retour en ce monde mortel est clairement délimitée au nord de l’étoile Agastya et au sud de l’ajavithi, la portion de l’écliptique qui regroupe les trois nakshatras (demeures lunaires) Moula, Pourvashadha et Uttarashadha. Ces trois nakshatras correspondent à certaines parties des constellations du Scorpion et du Sagittaire, et l’étoile Agastya correspond à l’étoile de l’hémisphère sud appelée Canopus. (Données extraites de The Vishnu Purana par Wilson, Delhi, 1865 et 1980.)

Ces étoiles et constellations sont gouvernées selon les Védas par des sages nommés Rishis. Ces derniers ont la capacité de connecter les âmes qui doivent revenir en ce monde à des ancêtres et des familles particulières en fonction du karma de chaque individu.

Quant à la voie du Nord (uttara-yana), qui est bien connue des yogis, elle est la voie de la lumière décrite par Krishna, et porte aussi le nom de déva-yana, ou voie des dévas. Elle permet aux yogis ou mystiques qui l’empruntent au terme de leur existence terrestre d’être entièrement affranchis du samsara, le cycle des morts et naissances, et de ne plus avoir à revenir en ce monde. Le Vishnou Purana nous apprend que cette voie se situe au nord de la nagavithi, la portion de l’écliptique qui regroupe les nakshatras Ashvini, Bharani et Krittika, et au sud des étoiles des sept Rishis.

Les trois nakshatras en question correspondent à certaines parties des constellations du Bélier et du Taureau, et les étoiles des sept Rishis correspondent à la constellation de la Grande Ourse, située dans l’hémisphère céleste Nord. Au-delà des étoiles des sept Rishis, l’âme libérée emprunte la voie de Vishnou (vishnou-pada) jusqu’à l’étoile polaire, ou Dhrouvaloka.

Où se croisent ténèbres et lumière

Il est intéressant de noter que dans de nombreuses cultures anciennes, les étoiles qui se lèvent et se couchent en traversant le ciel nocturne sont souvent associées aux choses temporaires de ce monde qui apparaissent et disparaissent par cycles. Par contraste, l’étoile polaire, que l’on voit toujours à la même place, face au Nord, ainsi que les étoiles qui gravitent autour d’elle symbolisent l’éternité. Cette région céleste est appelée dans les Védas vishnou paramam padam, littéralement les «pieds de l’Être suprême, Vishnou», qui est le maître du temps tout en étant lui-même en dehors du temps.

La Voie lactée permet, toujours selon le Vishnou Purana, d’accéder à la fois aux deux voies des ténèbres et de la lumière, pitri-yana et déva-yana. D’ailleurs, de nombreuses cultures font référence à la Voie lactée et au plan de l’écliptique comme étant des voies de passage pour les âmes dans le cours de leurs transmigrations.

  • Les Chinois, par exemple, ont pour héros un singe quasi immortel du nom de Sun qui se trouve régulièrement dans des situations incroyables. Il lui arrive entre autres de se faire capturer par deux «harponneurs de la mort» qui lui apprennent qu’il est parvenu aux limites de son destin sur Terre et doit être emmené dans des mondes souterrains (voie des ténèbres) pour y être jugé. De semblables régions obscures sont également décrites dans les Védas comme le domaine de Yamaraja, le juge suprême, et ces harponneurs ressemblent beaucoup aux descriptions qui sont faites de ses messagers, les Yamadoutas.

  • Pour les Grecs anciens, Hadès, le dieu des enfers, et Charon, le passeur qui aide à franchir le Styx, le fleuve-frontière, seraient à l’intersection de la Voie lactée et de l’écliptique, entre le Scorpion et le Sagittaire.

  • Pour les tribus indiennes cherokee et pawnee d’Amérique du Nord, les âmes des morts sont reçues par une étoile se situant à l’extrémité nord de la Voie lactée.

  • Le romain Cicéron explique dans son Commentaire sur le songe de Scipion (1.12.1-8) que les âmes des défunts font une ascension par le Capricorne et, pour renaître, redescendent par le Cancer, à l’intersection du zodiaque et de la Voie lactée.

  • Au Honduras et au Nicaragua, les peuples autochtones sumos disent que Mère Scorpion siège aux confins de la Voie lactée, où elle reçoit l’âme des défunts. De ses nombreuses poitrines, elle allaite toutes ces âmes et leur octroie de nouveaux corps.

  • Les Polynésiens croient traditionnellement en la réincarnation. Ils soutiennent que la Voie lactée est empruntée par les âmes au cours de leurs transmigrations et que certaines âmes ne peuvent entrer aux cieux que les soirs de solstice.

Ces coïncidences mystérieuses font-elles appel à un passé très lointain dans l’histoire de l’humanité? Sont-elles une référence à un tronc commun pour toutes ces croyances?

À suivre…

Le mystère de la Voie lactée