Suite de la série historique consacrée à la théorie de l’invasion aryenne, échafaudée dans le but de minimiser l’importance de la culture et des textes védiques.
Voir le volet précédent.
Fait intéressant, depuis la découverte de Harappa et de Mohenjo-daro, au début des années 1920, non seulement une centaine de sites ont été mis au jour en bordure de l’Indus, mais plus de 2500 sites rattachés à la culture védique ont été identifiés le long des berges et de l’ancien lit du fleuve Sarasvati. Et tous ces établissements ont prospéré à une époque bien antérieure à celle de la prétendue invasion censée avoir apporté la civilisation dans cette région préalablement tenue pour habitée par un peuple primitif.
Comme l’ont souligné l’archéologue américain Jonathan Mark Kenoyer et son homologue britannique Colin Renfrew, il importe de noter que la culture indienne actuelle s’inscrit dans un continuum naturel avec celle de la vallée de l’Indus, et que la culture harappéenne ne présente aucune rupture significative avec la culture védique encore plus ancienne qui s’est développée sur les rives du Sarasvati.
Ces constats indiquent notamment que la civilisation védique et les textes sanskrits n’ont été introduits en Inde par aucun peuple étranger à aucun moment de son histoire, de sa préhistoire ou de sa protohistoire. La datation du fleuve Sarasvati et les autres découvertes archéologiques faites à ce jour démontrent clairement que les textes védiques datent d’au moins 3000 ans av. J.‑C., et que la civilisation védique comme telle, initialement de tradition orale, trouve ses origines dans un passé antérieur d’au moins plusieurs millénaires.
La filière génétique
Avec les progrès de la science, les études relatives à l’hypothétique invasion aryenne de l’Inde se sont multipliées dans des disciplines très variées. Chandrakant Pansé, par exemple, professeur de biotechnologie au Massachussetts, a démontré que les antigènes tissulaires des Indiens du nord comme du sud n’ont rien en commun avec ceux des Européens. (DNA, Genetics and Population Dynamics: Debunking the Aryan Invasion Propaganda. Communication présentée dans le cadre de la 3e édition annuelle de la Human Empowerment Conference, à Houston, Texas, en septembre 2005.)
Quand à Vipin Kumar Tripathi, expert en physique des plasmas, après avoir procédé à nombre d’essais visant à retracer les antécédents sanguins des habitants du nord de l’Inde à un peuple venu de l’étranger, il est catégorique: la théorie soutenue par certains historiens voulant que des Aryens aient envahi le territoire 1500 ans avant la naissance du Christ n’est aucunement recevable.
Pour plus de précision, un trait particulier servant à caractériser une population porte le nom de «marqueur génétique». Un de ces marqueurs, appelé M17, est commun en Inde et dans les régions adjacentes; mais plus on se déplace vers l’ouest, plus il se raréfie. Stephen Oppenheimer, généticien d’Oxford, explique:
«L’Asie méridionale est en fait le berceau ultime du marqueur M17 et de ces ancêtres. Aussi est-ce en Inde et au Pakistan qu’il est le plus répandu et le plus diversifié. Sa présence est en outre négligeable dans le Caucase, ou en Asie centrale, ce qui va à l’encontre de toute théorie prônant une invasion aryenne de l’Inde. […] Comme on estime que l’origine du marqueur M17 en Inde remonte à 51 000 ans, il aurait plutôt migré de l’est vers l’ouest, soit de l’Inde ou du Pakistan vers l’Asie centrale avant d’atteindre l’Europe.»
Out of Eden: The Peopling of the World, Constable, Londres, 2003.
Qui plus est, les Indiens porteurs de M17 sont génétiquement plus diversifiés que les porteurs européens de ce même marqueur, ce qui veut dire que le bassin génétique indien est globalement plus ancien que son pendant européen et qu’aucun apport étranger ne l’a modifié de façon autre que négligeable depuis la dernière période glaciaire, il y a 12 000 ans.
De chasseurs-cueilleurs à citadins
La plus grande ville harappéenne est celle de Rakhigari, située presqu’au centre du bassin de l’antique fleuve Sarasvati. Comme toutes les cités de la civilisation de la vallée de l’Indus, il s’agit d’un site du patrimoine mondial de l’UNESCO, et les recherches menées sur place par une équipe de généticiens chargée d’étudier l’ADN des anciens habitants de la ville sont tenues pour avoir une incidence majeure sur l’histoire de l’Inde et du monde.
L’équipe dirigée par le docteur Niraj Rai, du Centre de biologie cellulaire et moléculaire (CCMB) de Hyderabad, et le professeur David Reich de l’École de médecine de l’Université Harvard, a notamment corroboré le fait que l’entièreté du génome indien est originaire du sous-continent. L’analyse de l’ADN des ancêtres de la population actuelle réfute toute hypothèse relative à une origine caucasienne.
Il s’avère que les chasseurs-cueilleurs d’Asie méridionale ont une origine indépendante des peuples plus à l’ouest, et qu’ils ont eux-mêmes donné naissance aux premiers établissements dans cette région du monde, sans aucune intervention migratoire de l’extérieur. En clair, leur génome ne renferme aucune trace d’ADN étranger.
Les études effectuées révèlent en outre une continuité génétique remarquable entre les temps les plus reculés et les temps modernes. Les communautés de chasseurs-cueilleurs se sont transformées en communautés d’agriculteurs-éleveurs vers 7000 av. J.‑C. Et ces communautés sont elles-mêmes aux fondements de la civilisation harappéenne, qui a atteint son apogée vers le troisième millénaire avant notre ère. L’identité génétique est restée la même tout au long du processus. Seule l’évolution culturelle a été responsable du passage d’une culture champêtre à une culture agraire, puis à une civilisation urbaine.
Ces recherches sont venues confirmer qu’il n’y avait eu aucun mouvement migratoire de masse d’ouest en est vers le sous-continent indien. Les travaux effectués par les autres équipes de spécialistes responsables des fouilles de la vallée de l’Indus ont par contre établi que les Harappéens avaient étendu leurs routes commerciales jusqu’en Iran, au Turkménistan, en Mésopotamie, en Égypte, dans le golfe Persique et presque toute l’Asie du Sud. Et que leurs descendants avaient par la suite migré vers des contrées plus à l’ouest, au-delà du Caucase, bien longtemps avant que les colonisateurs européens ne réclament leur paternité!
À suivre…