Dans la série des fables et maximes tirées de l’Hitopadesh et du Pancha-tantra…
Se rappelant la façon dont il avait vu la reine des souris sauver les pigeons prisonniers des filets d’un chasseur, le corbeau Laghoupatanaka se rendit chez elle.
Voir l’histoire des pigeons et de la reine des souris.
— Ô Hiranyaka, lui dit-il de sa plus douce voix, tu es digne d’être glorifiée! Je veux aussi devenir ton ami. S’il te plaît, sois miséricordieuse et accepte-moi comme tel.
— Mais qui es-tu?
— Je suis Laghoupatanaka, le corbeau.
— Comment pourrions-nous devenir amis? La souris que je suis représente ta nourriture, et l’amitié entre proie et prédateur est toujours source de souffrance, comme dans l’histoire de la biche qui fut prise au piège à cause d’un chacal.
Voir l’histoire de la biche et du fourbe chacal.
Le corbeau poursuivit en disant :
— Si je devais te manger, je ne serais pas pour autant satisfait; mais toi en vie, je serai heureux à jamais, comme l’est Tchitragriva, le pigeon ton ami.
— Tu as l’esprit changeant, dit Hiranyaka, et il n’est pas bon de se lier d’amitié avec des personnes instables. Sans compter que tu es pour moi un ennemi naturel, avec lequel il ne faut jamais faire de compromis.
On ne devrait jamais donner son amitié à un ennemi, même lors d’une trêve. L’eau, fût-elle bouillante, éteindra tout de même le feu.
Ce qui est impossible ne se produira jamais, et ce qui est possible ne manquera pas de se réaliser. Un char ne peut voguer sur l’eau ni un bateau se déplacer sur terre.
Si quelqu’un met sa foi en un ennemi pour quelque motif que ce soit, il est certain que sa mort est proche.
Laghoupatanaka dit :
— Bien qu’ayant écouté toutes ces sages paroles, je reste déterminé à gagner ton amitié. Si tu ne me l’accordes pas, je vais jeûner devant ta porte jusqu’à la mort, car il est dit…
L’amitié avec de viles personnes est comparée à un pot en terre – facile à casser et impossible à réparer; au contraire, l’amitié avec d’honnêtes gens est comme un pot en or, difficile à briser et facile à réparer.
L’amitié qui unit deux cœurs purs est comme la noix de coco : dure et rugueuse à l’extérieur, mais tendre et sucrée à l’intérieur. Les autres sortes d’amitiés sont comme les fruits du jujubier : doux et attirants à l’extérieur, mais aigres et pleins de vers à l’intérieur.
— C’est pourquoi je désire l’amitié des sages, dit le corbeau.
Pureté, générosité, chevalerie, équanimité dans le bonheur comme dans le malheur, politesse, affection et véracité : telles sont les qualités d’un véritable ami.
— À part toi, je ne vois personne qui possède toutes ces qualités.
— Par ces sublimes paroles, répondit la souris Hiranyaka, tu as fait fondre mon cœur.
C’est à ses paroles qu’on peut savoir si un homme est fourbe ou véridique; et c’est à travers ses actes que l’on peut juger de son courage et de son sang-froid.
Il faut bien distinguer l’amitié et le discours de l’homme au cœur pur de ceux de l’homme fourbe. Le fourbe pense d’une manière, parle d’une autre et agit encore différemment; mais le sage lui, dit ce qu’il pense et fait ce qu’il dit.
Hiranyaka accepta donc de se lier d’amitié avec le corbeau et lui offrit de fins mets. Puis, ils s’en retournèrent chacun chez soi. Dès lors, ils passèrent leur temps à s’offrir de la nourriture, à s’enquérir de leur bien-être et à échanger des propos confidentiels.
Un jour, le corbeau dit à Hiranyaka :
— Ma chère amie, il m’est devenu difficile de trouver de quoi manger dans cette région. Je désire quitter ces lieux.
La souris dit alors :
Les dents, les cheveux, les ongles et les êtres humains perdent leur beauté lorsqu’ils quittent leur position respective. Comprenant cela, les sages ne quittent jamais le lieu de résidence où ils sont établis.
— Ce sont des paroles de lâches, répondit le corbeau, car…
Les lions, les sages et les éléphants abandonnent leur demeure en cas de nécessité; mais les corbeaux, les lâches et les biches périssent en restant sur place.
— Où comptes-tu donc aller, cher ami? demanda Hiranyaka.
— Je connais un endroit merveilleux.
— Où est-ce donc?
— Dans la forêt Dandakaranya, poursuivit le corbeau, au bord d’un lac où vit une très chère et vieille amie, la tortue Manthara. De nature bienveillante, elle ne manquera pas de me fournir de savoureuses nourritures pour ma subsistance.
— Si tu pars, je ne vois aucune raison de rester ici, dit la souris, car…
On devrait quitter le pays où l’on n’est pas respecté, où l’on ne peut gagner sa vie, où l’on n’a pas de proches et où l’on n’a pas l’occasion d’acquérir le savoir.
— Emmène-moi donc avec toi, s’il te plaît.
— D’accord, dit le corbeau.
Laghoupatanaka et son amie se rendirent donc ensemble chez Manthara.
(À suivre)