Dans la série des fables et maximes tirées de l’Hitopadesh et du Pancha-tantra…
Un éléphant majestueux nommé Karpouratilaka vivait dans une vaste forêt. À sa vue, tous les chacals pensaient: «Si, d’une manière ou d’une autre, cet éléphant vient à être tué, nous pourrons joyeusement nous délecter de sa chair pendant au moins quatre mois.»
Un vieux chacal fit alors la déclaration suivante:
— Par mon intelligence affinée, je vais faire en sorte qu’il meure.
Peu de temps après, le rusé chacal approcha Karpouratilaka avec une humilité extrême et, se mettant à genoux, lui dit:
— Mon seigneur, daignez porter votre regard sur ma personne.
— Qui es-tu et d’où viens-tu? lui demanda l’éléphant.
— Je suis un chacal mandaté par tous les animaux de la forêt pour transmettre un message à Votre Grâce. Puisqu’il n’est pas juste de vivre sans roi, tous ont décidé d’un commun accord de vous introniser avec tous les emblèmes royaux en tant que souverain de la forêt.
Seul celui qui appartient à une noble lignée, qui arbore une noble conduite, qui respecte les plus nobles principes de vie, et qui est dûment versé dans les règles de la saine gouvernance est digne d’être roi sur cette terre.
Un noble dirigeant est tel un nuage protecteur et nourricier. On ne peut vivre en sécurité et dans la prospérité sans un dirigeant digne de ce nom.
— J’ose dès lors prier Votre Seigneurie de se rendre sans attendre au lieu de son couronnement, avant que le moment propice à ce glorieux sacre ne passe, poursuivit le chacal en ouvrant lui-même la marche.
Anticipant fièrement les honneurs de la souveraineté, Karpouratilaka emboîta aussitôt le pas au chacal, qui le mena tout droit vers un marécage où, vu son poids, le pachyderme eut tôt fait de s’enliser.
— Chacal mon ami, que dois-je faire maintenant, dis-moi? Voilà que je m’enfonce dans ce marécage, incapable d’en sortir seul. Non seulement je ne puis aller à la rencontre de mes sujets, mais je risque de mourir ici même. Que puis-je faire?
— Rien du tout, lui répondit le chacal en souriant d’un air malicieux. Votre embarras, majestueux seigneur, vient tout entier de ce que vous avez naïvement prêté foi aux propos flatteurs d’une personne comme moi. J’ai bien peur que vous deviez maintenant en subir les conséquences, et que personne ne puisse vous aider en cette heure fatidique.
Ainsi l’éléphant avide de gloire fut-il dévoré par les chacals.