Dans la série des fables et maximes tirées de l’Hitopadesh et du Pancha-tantra…
Après que la reine des souris lui eut raconté son histoire, la tortue Manthara jugea à propos d’enchaîner avec celle qui suit.
Voir l’histoire de la souris et des deux ermites.
Au pays de Kalyanakataka vivait un chasseur nommé Bhairava. Friand de chair fraîche, il alla sur les monts Vindhya y tuer une biche à l’aide de son arc. Alors qu’il retournait chez lui, portant la biche sur son dos, il aperçut un sanglier. Il déposa aussitôt la biche au sol et décocha une flèche acérée sur l’animal féroce. Le sanglier fit entendre un grognement sourd et, en furie, chargea le chasseur qu’il frappa en le projetant mortellement au sol.
Les âmes incarnées quittent leur dépouille mortelle sous l’effet d’une arme, d’un poison, d’une maladie, de la faim ou d’une chute, sinon des assauts de l’eau ou du feu.
Durant l’incident, un serpent se trouva en outre piétiné et instantanément tué.
Peu de temps après, un chacal en quête de nourriture arriva sur les lieux et vit la biche, le chasseur, le sanglier et le serpent, tous morts. Il pensa alors: «Quelle chance j’ai! Aujourd’hui, un heureux hasard m’a conduit ici pour festoyer, à moins que ce ne soit ma destinée.
Le malheur frappe sans crier gare, et le bonheur survient tout aussi inopinément. À cet égard, la destinée est certes suprême.
Quoi qu’il en soit, je vais pouvoir me nourrir de cette viande pendant au moins trois mois. La viande humaine me durera un mois, celle de la biche et du sanglier, deux mois, et celle du serpent me sera suffisante pour un jour. Mais aujourd’hui, je me contenterai de manger la corde insipide de cet arc faite de boyaux.»
Le chacal se mit à ronger la corde, et lorsqu’elle finit par céder sous ses dents, l’arc lui transperça le cœur et le tua sur le coup.
— Voilà pourquoi j’affirme qu’il n’est pas bon d’accumuler des richesses avec excès, dit la tortue Manthara. Mais à quoi bon se lamenter sur le passé? N’est-il pas dit…
Le sage ne désire pas ce qui est impossible à obtenir, non plus qu’il se lamente sur ce qu’il a perdu. Les aléas de la vie ne sont jamais pour lui sources de trouble ou de confusion.
— Ainsi, Hiranyaka mon amie, toi la reine des souris, devrais-tu toujours faire preuve de sagesse et rester enthousiaste.
Tout comme une lampe dans les mains d’un aveugle ne peut lui être d’aucune aide, la connaissance ne porte aucun fruit si l’on n’agit pas à la lumière de ce savoir.
Le bonheur et le malheur tournent comme une roue. Il convient de les accepter tour à tour, puisqu’ils vont et viennent de leur propre gré.
La fortune sourit à ceux qui sont enthousiastes, prévenants, libres de tout vice, nobles d’esprit, reconnaissants et fermes dans l’amitié.
— Écoute également ces sages secrets des maîtres du savoir:
La richesse est difficile à obtenir et difficile à garder, elle devient source d’illusion quand on s’y attache, et elle fait souffrir quand on la perd. Comment dire qu’elle mène au bonheur?
De même que tous les êtres en ce monde ont peur de la mort, le riche a toujours peur du souverain, de l’eau, du feu, des voleurs et même de ses proches.
— Que dire de plus? Mieux vaut profiter de notre temps ensemble pour échanger paisiblement.
À ces mots, le corbeau Laghoupatanaka, attentif aux sages propos de la tortue, s’exclama:
— Gloire à toi, ô Manthara! Tu es digne de donner refuge à tous.
Seul un éléphant peut sortir un autre éléphant d’un marécage, et seul un sage peut sauver d’autres sages de l’adversité.
Celui qui jamais ne déçoit ceux qui cherchent de l’aide est véritablement un saint, le meilleur d’entre les hommes, et seul digne de louanges.
Ainsi, heureux et satisfaits, le corbeau, la souris et la tortue se divertirent joyeusement et festoyèrent à satiété.