Dans la série «L’âme, cette inconnue», inspirée des textes védiques…
Les Védas ne présentent pas l’âme (atma en sanskrit) comme une forme d’évocation abstraite ou métaphorique de notre essence intime, mais bien comme une entité à part entière possédant sa nature propre et des attributs bien précis.
Cela dit, la réalité de l’âme est d’un tout autre ordre que celle du corps et des éléments qui le composent. Son existence ne relève et ne dépend en effet ni de la terre ni de l’eau, non plus que de l’air, du feu ou de l’éther, aussi appelé l’espace. Ces éléments existent dans toutes les formes organiques et inorganiques de la matière, mais l’âme ne renferme aucun d’eux.
L’âme n’est pas un organe
Notre corps compte cinq organes de perception sensoriels:
- Les yeux
- Les oreilles
- Le nez
- La langue
- La peau
Or, jamais un homme qui a le nez bouché ne dira «J’ai l’âme bouchée.» Non plus qu’une femme aux yeux bleus ne dira «Mon âme est bleue.» Personne n’a raisonnablement tendance à associer l’âme aux organes des sens. Ni aux organes d’action, d’ailleurs, également au nombre de cinq et responsables de différentes fonctions de l’organisme:
- La bouche
- Les bras et les mains
- Les jambes et les pieds
- L’anus
- L’appareil génital
Personne n’identifie l’âme à sa bouche, à ses bras ou à son anus. Pourquoi prendre la peine de souligner ces évidences? Pour dégager la réalité de l’âme de celle du corps en procédant par élimination, car il est souvent utile de préciser ce qu’une chose n’est pas pour mieux comprendre ce qu’elle est. Poursuivons donc dans cette veine.
L’âme n’est pas notre esprit
Quand nous parlons de notre esprit, nous faisons référence à ce qui se passe dans notre tête par contraste avec ce qui se passe dans notre corps. Or, les Védas expliquent que toutes les manifestations et expressions de notre esprit appartiennent au mental, à l’intelligence ou à l’ego, définis comme les composants subtils de la forme humaine, au-delà des éléments physiques.
Le mental remplit trois fonctions bien précises: penser, sentir et vouloir.
Il fonctionne en réaction directe aux sensations que nous procure notre corps et aux impressions qui nous viennent du monde extérieur à travers nos sens. Nos pensées y varient au gré de nos expériences. Les sentiments qui s’y forment fluctuent selon ce qui nous apparaît comme étant agréable ou désagréable. Et notre volonté s’y exprime de manière à satisfaire nos désirs prédominants.
Le mental étant sans cesse tiraillé par les sens, il est le plus souvent ballotté entre le oui et le non, le bien et le mal, le juste et l’injuste, le vrai et le faux… Dualités entre lesquelles il a d’autant plus de mal à trancher qu’il ne dispose d’aucun pouvoir décisionnel.
Pour faire suite à notre propos, l’âme ne peut être identifiée au mental – elle n’est ni une pensée, ni une émotion, ni un désir, ni un mélange des trois. Elle peut susciter pensées, émotions et désirs, mais elle n’en est pas elle-même.
Âme, intelligence et ego ne sont pas synonymes
L’intelligence gouverne nos facultés de raisonnement, d’analyse, de discernement et de jugement. Il s’agit en quelque sorte de notre ordinateur central, en ce qu’elle traite l’information reçue des sens et du mental afin d’enrichir notre compréhension du monde et de guider nos choix en nous aidant à déterminer ce qui semble le mieux servir nos intérêts à la lumière de nos connaissances et de nos acquis.
Aussi précieuse soit-elle, ce n’est pas non plus à notre intelligence que nous pensons lorsque nous faisons référence à l’âme.
Quant à l’ego, la Bhagavad-gita le définit non pas comme l’âme, mais bien comme le lien entre l’âme et le corps, lien comparé à un nœud formé par notre identification et notre attachement au corps.
L’âme est immatérielle
Si l’âme n’appartient pas aux éléments physiques, ni ne correspond à notre esprit subtil – composé du mental, de l’intelligence et de l’ego –, il en découle qu’elle n’est pas de nature matérielle. Elle ne correspond en effet à aucun phénomène observable et mesurable ni à aucune manifestation sensible pouvant être étudiée dans le cadre des sciences dites humaines par opposition aux sciences pures.
La Bhagavad-gita explique qu’au-delà des sens, du mental, de l’intelligence et de l’ego – aussi appelé le faux ego, ou l’ombre du moi –, trône l’atma, ou l’âme, l’être vivant à proprement parler. «Vivant» par opposition aux éléments inertes et volatils, aussi bien grossiers que subtils, dont se compose le corps.
Autrement dit, l’âme n’est autre que le principe de vie qui anime la matière et qui constitue le vrai moi. Pour reprendre les termes du Védanta-sutra, l’âme n’est pas le corps, mais la personne en soi, le sujet vivant et pensant qui agit à travers le corps.
Il serait donc faux de dire que j’ai une âme. Le fait est que je suis l’âme, soit la seule et unique personne qui habite mon corps. Je ne suis pas un corps qui a une âme, mais une âme qui a un corps.
C’est l’âme que je suis qui perçoit les sensations provenant de mon corps. C’est l’âme que je suis qui ressens les émotions qu’éveillent dans mon esprit mes rapports avec les gens qui m’entourent et avec le monde dans lequel je vis. L’âme que je suis n’est ni mon corps physique ni mon corps subtil, puisque je peux, selon le cas, observer, subir ou contrôler ce qui se passe dans l’un comme dans l’autre.
En guise d’analogie, la Katha Upanishad compare l’âme au passager d’un char (le corps) tiré par cinq chevaux fougueux (les sens) et conduit par un cocher (l’intelligence) chargé d’en tenir les rênes (le mental).
Et s’il faut une preuve à l’effet que c’est l’âme et l’âme seule qui anime le corps et lui donne vie, il suffit de se rappeler que dès l’instant où elle quitte le corps, il meurt et se décompose. La personne qui l’habitait a tout simplement quitté les lieux pour ne plus jamais y revenir.
Qui dit immatérielle, dit…
Spirituelle. Si la vie n’est le propre d’aucune énergie ni élément matériel, l’âme qui anime le corps et lui donne vie se doit d’être d’une tout autre nature. La Bhagavad-gita distingue deux grandes catégories d’énergie: l’énergie matérielle, dite inférieure, à laquelle appartiennent tous les éléments décrits ci-dessus, et l’énergie spirituelle, dite supérieure, à laquelle appartient l’être vivant, l’âme qui anime la matière inerte.
Spirituelle et supérieure en ce sens qu’aucune force matérielle ne peut donner vie au corps, non plus que le ressusciter lorsqu’il s’éteint. Ainsi l’âme se définit-elle comme la force vitale, le siège de l’identité et la conscience personnifiée de tout ce qui est vécu et ressenti dans le corps.
Comme le soleil, à lui seul, illumine tout l’univers, ô descendant de Bharata,
Bhagavad-gita 13.34
l’âme spirituelle éclaire de la conscience le corps tout entier.
De même que la lumière du jour témoigne de l’existence du soleil, la conscience témoigne de l’existence de l’âme et de sa présence dans le corps. Tant qu’il y a conscience à un degré ou à un autre dans un corps, c’est qu’un être vivant s’y trouve. Dès que l’être vivant – la personne à proprement parler – quitte ce corps, il meurt. Or, cet être vivant, cette personne, c’est l’âme.
Voilà qui est l’âme.