Vous avez bien lu: «avant» la mort. La question d’une vie après la mort interpelle l’humain depuis la plus haute antiquité. Y a-t-il ou non une vie après la mort? Si oui, où va l’âme après avoir quitté le corps? Reprend-on naissance sur terre dans un autre corps, ou sommes-nous plutôt transportés dans une autre dimension? … On oublie cependant que c’est en fait la vie avant la mort qui détermine les conditions de l’après-mort. Parlons-en donc.
Commençons par le commencement. Selon les Védas, la question de l’existence ou non d’un «après» n’a pas lieu d’être. Il s’agit d’un simple fait de la vie. La vie est par définition vivante, c’est-à-dire éternelle. Elle n’a ni début ni fin. Elle ne dépend donc aucunement des différents corps susceptibles de l’accueillir pour un temps dans ses pérégrinations sans fin. La vie n’a que faire de la mort. La vie ne meurt pas. Seul le corps meurt lorsque la vie le quitte.
«À l’heure de la mort, l’âme change de corps, tout comme elle l’a fait en passant de l’enfance à la jeunesse, puis à la vieillesse. Ce changement ne trouble pas le sage.»
Bhagavad-gita 2.13
La vie avant la mort – notre enfance, notre jeunesse et notre vie adulte – nous concerne naturellement davantage que l’après-mort. Reste que nous avons tout intérêt à comprendre en quoi elle détermine la suite des événements au-delà du rite de passage ultime. Car l’avant détient la clé de l’après.
L’immatérialité de l’être
Revenons un instant sur les fondements de la vie. Il est entendu que la mort survient lorsque le cœur cesse de battre et que le cerveau cesse de fonctionner. Électrocardiogramme à plat et électroencéphalogramme à plat. Mais ces signes sont ceux de la mort du corps, et non de la vie. La vie ne dépend pas du fonctionnement ou de l’arrêt d’un système bioélectromécanique, si complexe soit-il. La vie réside dans la conscience, dans la faculté de sentir et ressentir, soit de percevoir. C’est en effet la conscience qui distingue un être vivant d’un corps mort.
D’où vient donc cette conscience? Où se trouve le siège de la perception?
Supposons que j’utilise un périscope pour voir ce qu’il y a derrière un haut mur. Si je peux voir, c’est parce que j’ai des yeux, et non un périscope équipé de plaques de verre réfléchissantes. Le périscope n’est qu’un moyen d’acheminer la lumière jusqu’à mes yeux. Or, mes yeux sont eux-mêmes des instruments conçus pour envoyer à mon cerveau de l’information sur la nature et les caractéristiques de la lumière qu’ils captent. Le périscope ne voit pas. Mes yeux ne voient pas. Et mon cerveau ne voit pas non plus. Si je vois ce que je vois, c’est parce que j’ai la faculté de percevoir et d’interpréter les signaux lumineux qui me sont transmis.
Ce «je» qui perçoit et interprète, qui voit et entend, qui sent et ressent, qui pense et agit, c’est le siège de la conscience. Et cette conscience ne dépend d’aucun des éléments matériels sur lesquels portent ses facultés perceptuelles. Elle est tout simplement le propre de l’âme, de l’être en soi, du principe vital qui anime son corps. Aussi dit-on de cette âme qu’elle est immatérielle, supramatérielle, ou spirituelle.
Qui dépend de quoi?
Ces prémisses jetées, il importe de comprendre qu’aussi longtemps qu’elle séjourne dans un corps de matière, les facultés perceptuelles de l’âme se trouvent conditionnées par la nature et l’état du corps qu’elle occupe.
Pour reprendre l’exemple du périscope, la qualité de l’image de ce qui se trouve derrière le haut mur dépend de l’état du périscope. Même si ma vue est parfaite, une lentille sale brouillera ma perception. Et si mes yeux eux-mêmes ne sont pas parfaits, ou si une partie de mon cerveau est endommagée, l’image sera encore moins nette. Mais ma faculté de perception n’est en cause ni dans un cas ni dans l’autre. Elle est seulement teintée par les conditions extérieures.
De même que ma faculté de perception en soi ne dépend ni du périscope, ni de mes yeux, ni de mon cerveau, aucune autre faculté fondamentale de l’être vivant ne dépend du corps à travers lequel il exerce ces facultés. L’âme ne dépend pas du véhicule dans lequel elle voyage. Le corps qu’elle habite temporairement conditionne seulement la mesure dans laquelle elle peut exercer ses facultés intrinsèques. Suivant le même principe selon lequel la puissance, l’aérodynamisme et la mise au point d’une voiture déterminent la mesure dans laquelle un pilote de course peut exercer ses talents.
Il en découle que l’existence de l’âme ne dépend pas de celle du corps ni d’aucun de ses organes. C’est au contraire parce que l’âme s’introduit dans la matière inerte que le corps prend vie et traverse les différentes étapes de l’existence. Elle existe avant lui, et elle continue d’exister après l’avoir quitté, lorsqu’il devient inutilisable. Le corps ne meurt et ne redevient matière inerte que parce que l’âme – la vie – le quitte.
«De même qu’on se défait d’un vêtement usé pour en revêtir un neuf, l’âme quitte un corps devenu inutile pour en revêtir un nouveau.»
Bhagavad-gita 2.22
Il y a donc une vie avant la mort et une vie après la mort. On peut dès lors se demander en quoi la première influe sur la seconde.
Le lien corps-âme
Lorsqu’elle quitte son enveloppe de matière inerte, tel un papillon sortant de son cocon, l’âme conserve son corps subtil. C’est-à-dire son mental, son intelligence et son ego, porteurs de facultés aussi intrinsèques à l’âme que celles de voir et entendre. Dans le cas du mental, réceptacle des désirs et des souvenirs, il s’agit du penser, du sentir et du vouloir. Les fonctions de l’intelligence sont le raisonnement, l’analyse, le discernement et le jugement. Et l’ego reflète la perception que l’âme a d’elle-même.
Le séjour de l’âme dans un corps donné et l’attachement qu’elle développe pour ce corps a pour effet de conditionner non seulement ses facultés primordiales, mais aussi sa perception d’elle-même. Au point de s’identifier complètement à ce corps et d’en oublier sa nature spirituelle et éternelle.
Ce phénomène revêt une importance capitale, car l’état du mental, de l’intelligence et de l’ego au moment de la transition avant-mort — après-mort détermine précisément le prochain type de corps qu’obtiendra l’âme.
«Ce sont les pensées, les souvenirs de l’être à l’instant de quitter le corps qui déterminent sa condition future.»
Bhagavad-gita 8.6
D’où l’importance tout aussi capitale de la vie avant la mort.
Un cycle sans fin
Ce sont en effet les pensées, les paroles et les gestes cultivés tout au long du séjour dans le corps physique qui déterminent l’état du corps subtil au moment de la mort. La vie avant la mort est donc garante de la vie après la mort.
La question est maintenant de savoir comment cultiver l’état d’esprit voulu au moment de quitter le corps.
Si je donne libre cours aux pulsions de mes sens, constamment sollicités par les attraits de l’énergie matérielle, je ne peux qu’entretenir des pensées et des désirs axés sur la satisfaction de mon corps. J’intensifie ainsi mon attachement et mon identification à ce corps, de sorte qu’au moment de la mort, mes pensées iront vers les personnes en lien avec ce corps, vers les entreprises que je n’ai pas pu mener à terme, vers les projets que je n’ai pas eu le temps de réaliser… Et ce sont ces considérations qui conditionneront la nature de mon prochain corps, pour me permettre de donner suite à mes désirs et de récolter ce que j’ai semé.
Le processus de transmigration d’un corps à un autre qui en résulte est sans fin, car il n’y a pas de limite aux désirs de satisfaction personnelle qu’une personne peut avoir. Ce qui oblige à revivre sans fin la frustrante expérience de la mort.
Une vie sans mort
Il existe néanmoins une façon de mettre fin à ce cycle mortel. Le seul moyen d’y parvenir consiste à dissoudre le corps subtil par la pratique d’activités spirituelles, axées sur la quête de l’Absolu et la satisfaction du Divin plutôt que sur la quête de plaisirs égocentriques ou exocentriques. La beauté de la chose, c’est que nous ne perdons rien au change, puisque la plus grande satisfaction de l’âme tient précisément à celle du Suprême dans l’amour intime qu’elle partage naturellement avec lui. Elle l’a simplement oublié sous l’effet des envahissantes influences matérielles.
Lorsque le corps subtil est ainsi dissous, l’âme est dite «libérée», car elle n’est plus sujette au conditionnement de la matière. En conséquence, lorsque vient le moment de la mort, elle n’a pas à revêtir un nouveau corps matériel. Elle retrouve sa forme originelle, débarrassée du carcan de ses enveloppes grossières et subtiles, et reprend sa place dans la sphère spirituelle, où sa vie s’épanouit désormais sous le signe de la connaissance et de la félicité.
Il y a naturellement encore beaucoup à dire à ce sujet, mais pour l’heure, retenons l’importance trop souvent insoupçonnée de la vie «avant» la mort.
Inspiré d’un article d’Ajita Nimai Dasa paru dans la revue Back to Godhead, Nov/Dec 2021.